Canalblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

LES LETTRES DE MON TRAPICHE

12 avril 2024

« Lava », de Daniel Mella (par Antonio Borrell)

 

Editorial HUM, Montevideo, 2013, 160 pages.

ISBN :  978-9974-699-50-2

Daniel Mella, né à Montevideo en 1976, s’est fait remarquer très jeune dans la littérature uruguayenne, avec son premier roman « Pogo » (1997) publié alors qu’il avait 21 ans. Ce premier livre est suivi de « Derretimiento » (1998) et « Noviembre » (2000) pour lesquels la critique se montre encore élogieuse. Après quelques années de silence, il revient avec le recueil de nouvelles « Lava » en 2013 (Prix Bartolomé Hidalgo) et le roman « El Hermano mayor » en 2016 (à nouveau prix Bartolomé Hidalgo). Ce dernier est traduit en anglais. En 2020, il publie un nouveau roman : « Visiones para Emma ».

 

 

Le Trapiche avait lu et commenté « El hermano mayor », roman qui évoquait la mort accidentelle du frère aîné de l’auteur et ses effets sur leur famille. Il y a certaines résonnances ou prémonitions entre les nouvelles de « Lava » et le roman venu après, car les deux livres se penchent sur l’intime, sur des évènements forts ou douloureux de la vie des protagonistes. Il y est question de vie de couples, de vieillesse de parents et d’enfants, d’adolescence, de premiers amours, de ruptures et de mort. Ce sont des histoires de gens ordinaires, racontées sans esbrouffe, avec un soin du détail et une finesse d’observation qui accrochent le lecteur. Elles nous plongent dans les lointaines banlieues balnéaires de Montevideo à l’est le long de la côte jusqu’à l’Atlantique, où vivent beaucoup d’Uruguayens dans des quartiers de petites maisons avec jardins et de chemins non asphaltés où les enfants vont à vélo. Mais on croise aussi des Uruguayens loin de chez eux.

 

« Lava », le premier des textes, est situé hors d’Uruguay, dans le sud du Chili et le village de Pucòn, entre lacs et volcans. Un jeune couple est venu là en « lune de miel » avec l’intention de faire un enfant. Ils coulent des jours paisibles, font l’amour, vont au restaurant et sur la plage de graviers noirs au bord d’un lac aux eaux glacées. Un jour, partis en excursions à pied dans la forêt, ils sont pris en stop par un jeune indien dans une vieille Volkswagen combi, qui les conduit chez son oncle dans un hameau près du volcan. Alors qu’ils sont hébergés dans des conditions très rustiques, et que la jeune femme a le pressentiment d’être enceinte se produit un étrange phénomène…

 

« Bocanada » évoque, par la voix d’une jeune mère, les angoisses de celle qui vient d’accoucher d’une petite fille aussitôt mise en couveuse. Les visites à la maternité du père et de leur fils aîné, encore très jeune, puis le retour à la maison en taxi, alors qu’on sent la relation du couple se défaire peu à peu.

 

Dans « La esperanza de ver », le narrateur est un pré-adolescent qui commence à tomber amoureux d’une voisine de son quartier rencontrée à la chorale animée par une bonne sœur.

 

Bruxelles est le cadre de « Tùpelo » où un jeune routard uruguayen trouve un travail dans un bar proche de la Grand Place, tenu par un rocker grec du nom de Costas. Il a un co-locataire à problèmes, et se fait draguer par Tasìa, la compagne de Benny, meilleur ami de Costas. Il y a dans cette nouvelle une ambiance qui rappelle un peu le cosmopolitisme des « Détectives sauvages » de Roberto Bolano, avec ses latino-américains vivant de petits boulots en Europe. La chute est assez inattendue et laisse le lecteur en tension.

 

« Ahora que sabemos » est l’histoire poignante d’un couple âgé, Oscar et Inés, qui bat de l’aile, sur fond de conflit sur le sort de la mère nonagénaire du premier. Inés voudrait la prendre chez eux, la mère et le fils s’y refusent. Inés semble perdre la raison, alors qu’elle va prendre une décision radicale.

 

« La emociòn de volar » se présente sous la forme du journal intime d’un adolescent qui raconte sa vie et ses premiers émois amoureux, le lycée, le sport, les vacances. On y croit vraiment et on a l’impression que Daniel Mella n’a que très légèrement retouché son propre journal, tant ce personnage a de points communs avec lui : jeune et brillant joueur de basket, passionné de surf, élevé dans une famille mormone très pieuse. Portrait craché ? Le surf et la religion sont deux thèmes très présents aussi dans son roman « El hermano mayor ».

 

Dans « Làmpara », le narrateur est sollicité par un groupe d’étudiants pour le tournage d’un document sur son oncle, chanteur marginal décédé et devenu « culte ». C’est l’occasion pour lui de se replonger dans ses souvenirs et l’histoire de sa famille.

 

Daniel Mella a l’art de finir ses nouvelles de façon inattendue et de nous laisser un peu décontenancés, là où apparemment il ne se passe rien, ou pas encore. Il faut imaginer une fin. C’est une chute sans chute, mais ça fonctionne, et le livre est convaincant.

 

 

12 avril 2024

« Colores peligrosos » de Pablo Dobrinin. (par Antonio Borrell)

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Editorial El Gato de Ulthar, Montevideo, 2011, 220 pages

ISBN : 978-9974-98-925-2

 

Pablo Dobrinin (Montevideo, 1970) est libraire dans la capitale uruguayenne,  après avoir fait des études de littérature et de journalisme. C’est un auteur qui sait se faire rare et discret. Certains de ses textes ont déjà été traduits en diverses langues dont le français et publiés dans des revues sur papier ou en ligne comme « Lunatique » en France ou « Axxon » en Argentine et dans de nombreux autres pays. Il est l’auteur de plusieurs ouvrages : Colores peligrosos (2011, nouvelles), Artaud (2012, poésie) et El mar aéreo (2016, nouvelles). Il est aussi passionné de peinture, ce qui transparaît dans ses textes, admirateur d’Antonin Arthaud et grand connaisseur de littérature et BD populaires, d’aventures et SF. Le critique et auteur Ramiro Sanchiz le considère comme « le secret le mieux gardé de la SF uruguayenne ».

 

Le Trapiche a déjà commenté le recueil intitulé « El mar aéreo » dont on a gardé un excellent souvenir. « Colores peligrosos » réunit dix textes plus anciens mais très intéressants, dans lesquels l’originalité de Pablo Dobrinin s’affirmait déjà. Ils sont de longueurs très diverses, entre moins de deux pages et plus de vingt, et abordent plusieurs sous-genres entre science-fiction, horreur et fantastique, toujours avec un subtil mélange de fantaisie, de parodie, d’érotisme et d’humour décalé.

 

« Blue » m’a évoqué les univers visuels de Caza et Moebius. Une déesse géante s’accouple avec des hommes élus qu’elle dévore ensuite pour qu’ils se réincarnent et reviennent vers elle cycliquement jusqu’au jour où va se produire une transformation qui chamboulera le monde… Mélange d’érotisme inquiétant, de religion cosmique et d’apocalypse, c’est un des contes les plus réussis du livre.

 

Dans « Las lombrices » un pré-adolescent désœuvré et cruel torture des insectes et vers de terre dans le jardin familial, tout en redoutant les apparitions de la vieille sorcière propriétaire du terrain voisin, jusqu’au jour où elle va l’attirer chez elle. On retrouve le thème de la sexualité angoissante avec une créature repoussante ou dotée de pouvoirs surnaturels.

 

« Los festejos del fin del mundo » est un délire carnavalesque plein de créatures invraisemblables, entre Dali et Lewis Caroll, et d’accouplements monstrueux, dans une ambiance de fin du monde. Assez déconcertant.

 

« El regreso del Capitan Rayo » est un hommage à différents genres de littérature populaire ou de feuilletons télévisés pour enfants, entre histoires de détectives désabusés et de super-héros déchus. Dans une Montevideo sombre, inondée par la fonte des glaces, un détective enquête sur l’assassinat d’un propriétaire de chaine de télévision. Il va compter sur l’aide du principal suspect, un ancien acteur de série, héros de sa jeunesse.

 

« El regreso de los pàjaros » mêle la passion de l’auteur pour la peinture et un amour pour la ville de Montevideo. Un homme revient de Buenos Aires où il vit, pour liquider les biens de son père mort à Montevideo. Il s’agit de vendre une vieille maison à Montevideo, mais la rencontre avec un vieux peintre le fera changer d’avis, malgré les efforts d’un inquiétant agent immobilier.

 

« La pelìcula de Artaud », hommage à Antonin Arthaud, mériterait une relecture très actuelle à la lumière de ce que sera sans doute la révolution de l’intelligence artificielle dans le cinéma, avec la possibilité de réutiliser d’anciens films pour en faire de nouveaux.

 

« Luces del sur », en fait une histoire de succube est peut-être le plus perturbant des contes de la veine des sexualités monstrueuses, avec en plus une touche d’inceste. Un homme en plein divorce et au chômage, n’a d’autre solution que d’aller s’installer chez sa grand-mère, délaissée depuis des années. Sans gêne il se fait une place dans la maison de la vieille femme qui semble muette et l’ignore presque. Mais après quelques temps, elle commence à se glisser dans son lit la nuit. Prisonnier de la volupté et de la culpabilité, l’homme ne sait plus comment s’échapper, alors qu’il commence à deviner que cet être n’a que l’apparence de sa grand-mère…

 

« Los àrboles de Isaac Levitan » est encore une brève histoire de peintre qui, pour une mystérieuse raison m’a provoqué des réminiscences des livres de l’écrivain russe Anatoli Kim.

 

Enfin, « Colores peligrosos », éponyme de l’ensemble, et le plus long, nous plonge dans un pays au bord de la guerre civile artistique entre figuratifs classiques et adeptes de l’art abstrait. En exergue la phrase « Toute esthétique est politique » est attribuée à un certain général Màximo Santos récemment décédé en laissant un pays divisé. (il y a bien eu un général-président de l’Uruguay portant ce nom, mais c’était dans les années 1880). Des élections sont prévues. Au début le narrateur est plus préoccupé de ses affaires personnelles que de la politique. Il est un peintre dessinateur figuratif qui vit bien de son art en créant des couvertures pour la presse, tandis que sa fiancée Flavia est une artiste incomprise, adepte de l’abstraction. Un soir d’orage après une dispute, il trouve dans la rue un énorme chat blanc qu’il offre à Flavia en espérant une réconciliation. Malheureusement pour lui, cet animal va faire preuve d’un talent artistique inespéré, dans l’abstraction, et Flavia va entrer dans une relation fusionnelle avec l’animal qui atteint très vite une renommée exceptionnelle. Le couple semble se diviser à mesure que les tensions politiques croissent dans le pays, et que la haine du narrateur envers le chat s’exacerbe. Pablo Dobrinin laisse libre cours à son imagination et à son humour dans un conte un peu fou qui serait digne d’un bon dessin animé japonais !

 

 

 

 

12 avril 2024

“Manual de poesìa para resolver problemas domésticos”, de Rafael Courtoisie. (par Antonio Borrell)

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Editorial Animal sospechoso, Barcelona, 2024, 80 pages

ISBN : 978-84-128104-1-7

Rafael Courtoisie est né à Montevideo en 1958. Il a fait des études scientifiques en chimie et mathématiques. Il est romancier, poète, essayiste, scénariste, journaliste et enseignant, admirateur de Garcia Marquez, il est capable de réciter par cœur « Cien años de soledad ». Il a été professeur de diverses universités, tant en Uruguay qu’aux Etats Unis, et en Grande Bretagne. Il est membre de l’Académie des Lettres Uruguayennes. Sa poésie lui a valu de nombreux prix dans divers pays (notamment le prix Casa de las Americas en 2014), de même que certaines de ses nouvelles, et des romans. Une partie de ses œuvres ont été traduites en anglais, français, italien, roumain, turc… En France ses romans « Saint Remède », « Le roman du corps » et « Le livre de la désobéissance » sont publiés aux éditions Latinoir, ainsi que le recueil de poésie « Anthologie invisible » en édition bilingue.

 

Les habitués du Trapiche (si, si, il y en a) connaissent Rafael Courtoisie dont plusieurs livres ont été commentés ici, et certains traduits en français par la suite. Ils savent que ce qui est particulièrement appréciable dans ses romans comme dans ses nouvelles, c’est cette poésie teintée d’humour. Courtoisie est un grand romancier parce qu’il est poète et qu’il ignore les frontières entre les genres et joue toujours le funambule entre les différentes formes d’expression. Alors, même si la poésie n’est pas la spécialité du Trapiche, on va essayer de rendre compte de cette nouvelle publication présentée par l’auteur à Barcelone en février 2024.

Le titre à lui seul en dit long « Manuel de poésie pour résoudre des problèmes domestiques ». On devine que cette poésie n’a rien de pompeux, et que l’auteur est loin de se prendre au sérieux. Pour la forme, ces poèmes d’une page ou deux sont souvent très proches de micro-fictions. On pense inévitablement à Jacques Prévert.

Quelques titres suffisent à donner le ton : « Pour trouver une aiguille dans une botte de foin », « Pour trouver cinq pattes à un chat », « Que faire devant un robinet qui fuit », « Que faire quand il y a des fourmis dans la cuisine », et tant d’autres ! Bien entendu les solutions proposées sont complètement fantaisistes et amusantes.

Comme chez Prévert, la fantaisie n’empêche pas la rage et la révolte face à l’injustice et à la barbarie. C’est le cas par exemple dans « Pour faire disparaître une tache de sang », ou bien dans « Pour effacer un souvenir de 1972 », où il se souvient d’épisodes de violence politique et de meurtres dont il fut témoin dans son adolescence.

Pour ceux qui ne lisent pas l’espagnol, l’anthologie bilingue avec traduction de Jacques Aubergy, publiée chez L’atinoir est une occasion de découvrir la poésie de Rafael Courtoisie. Ici le poète s’est lancé un défi autour des idées d’apocryphe, de pastiche et d’identité de l’auteur, que la quatrième de couverture résume assez bien : « Anthologie invisible » réunit des textes inconnus d’auteurs réels, vivants ou morts, des textes réels d’auteurs inconnus, imaginaires, possibles ou impossibles, des textes qui construisent une poétique polyphonique, hétérodoxe, multiple… Un défi qui aurait bien amusé Borges.

15 mars 2024

« Papeles suizos », de José Arenas. (par Antonio Borrell)

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Editorial Pez en el hielo, Montevideo, 2019, 110 pages

ISBN : 978-987-48789-3-9

José Arenas est né en 1989 à Montevideo. Il est auteur de romans, de poèmes et chansons, ainsi que compositeur et « performeur ». Il a écrit des critiques dans la presse uruguayenne et argentine. Outre divers recueils de poésie, essais et nouvelles, il a publié quatre romans : Los rotos (2017), Con un hilo de voz (2019), Papeles suizos (2019) et le polar Maricas muertas (2021).

 

Le célèbre « Familles, je vous hais » d’André Gide pourrait assez bien définir ce court roman, qui a causé une certaine indignation dans la petite région rurale à l’ouest de Montevideo, qu’il dépeint et dont l'auteur est originaire. Dans ce canton qui n’a rien de montagnard, des colons d’origine helvétique (souvent de confession vaudoise, parfois très pauvres, avec des noms « difficiles à prononcer » pour les hispanophones) ont recréé depuis la deuxième moitié du dix-neuvième siècle un petit bout de Suisse au bord du Rio de la Plata. (C’est la même région qui est évoquée à propos du personnage Juan Rollfinke dans le roman « La Galaxia Gòngora » de Gustavo Espinosa, commenté il y a quelques semaines par le Trapiche). Des villages fleuris qui s’appellent « Nueva Helvecia » ou « Colonia valdense », où l’architecture évoque les chalets alpins, où on élève des vaches pour produire du fromage, conservent un certain folklore helvète un peu désuet. Avec le temps ces gens ont adopté certains traits culturels uruguayens tout en conservant quelques particularités.

 

Ce sont les côtés obscurs et les secrets bien gardés par les familles de cette micro-société conservatrice, vivant repliée sur elle-même, que le roman de José Arenas prétend dénoncer, étant lui-même originaire de cette région. Il va donc en tracer un portrait au vitriol, plein de rage, pour mettre au jour ce que cachent les façades joliment fleuries. Il le fait par la voix d’un narrateur adolescent en rupture avec sa famille qui se fait lui-même le témoin de son amie « La Gringa », placée dans une institution psychiatrique car devenue muette depuis le suicide de sa soeur.

 

Dès les premières pages, le jeune homme s’en prend avec véhémence à ses ancêtres émigrés d’Europe en 1861, des pouilleux dégénérés et rongés par la syphilis, rejetés par l’Europe comme des insectes à fond de cale, ensuite il s’attaque à son arrière-grand-père, un nazi enterré sous une pierre tombale où figure une inscription en allemand. L’adolescent n’a jamais voulu apprendre cette langue par rejet de ses ancêtres !

En alguno de esos soldados sin piernas o sin ojos, o a punto de morir del cansancio, en el semen vencido de uno de ellos venía el gen de mi familia, como bicho de barco

 

Personne n’est épargné : familles, enseignants, camarades de classe… (Au passage, le bref chapitre évoquant le travail scolaire sur l’arbre généalogique fait étrangement écho au roman « Viralata » de Fabiàn Severo, déjà lu et commenté par le Trapiche il y a quelques années, qui évoquait une tout autre région de l’Uruguay, à la frontière du Brésil). Les fêtes folkloriques helvétiques, la célébration de l’indépendance suisse au mois d’août, le racisme envers d’autres communautés uruguayennes (désignées comme « criollos »), souvenir de l’hospitalité accordée autrefois à des nazis en fuite, des listes noires de suspects pendant la dictature des années 70, suicides d’adolescents en série, voilà le tableau très noir de cette communauté que dresse José Arenas.

 

C’est un petit roman véhément, au langage cru, plein de rage, et très bien écrit qui ne peut laisser indifférent, même si on ressent parfois un excès dérangeant. Les chapitres sont courts, parfois d’une seule phrase : «Suéltennos, manga de hijos de puta ». Un auteur à suivre.

 

La jeune maison d’édition « Pez en el hielo » se confirme comme découvreuse de talents, avec des livres bien faits et une prise de risque dans ses choix. Inutile de dire que le livre a choqué dans cette région lors de sa parution, justifiant même des menaces contre une librairie du coin !

 

13 février 2024

« Los pasajes comunes », de Gonzalo Baz. (par Antonio Borrell)

31otQCMYWwS

 

Editorial Criatura, Montevideo, 2022, 90 pages

 

ISBN: 9788412524246

 

Gonzalo Baz, né à Montevideo en 1985, est écrivain et éditeur. En 2016, il fait partie des fondateurs de la maison d'édition autogérée « Pez en el Hielo », qui en quelques années s’est fait une belle place parmi les éditeurs indépendants en Uruguay. En 2017, son premier livre de nouvelles « Animales que vuelven » (Pez en el Hielo), remporte le prix de la première oeuvre du ministère uruguayen de l'éducation et de la culture et sera publié en 2024 en français par les éditions L’atinoir. Gonzalo Baz a organisé et traduit l'anthologie de récits brésiliens contemporains « La paz es cosa de niños » (Pez en el Hielo, 2018). Son premier roman, « Los pasajes comunes », est publié fin 2020 par Criatura Editora. En 2021, il reçoit le prix de la révélation lors de la cérémonie du « Bartolomé Hidalgo » lors du Salon du livre de Montevideo. Gonzalo Baz a été inclus dans la liste des meilleurs jeunes narrateurs en espagnol du magazine Granta.

Ce premier roman se caractérise par sa concision, avec à peine 90 pages et une structure fragmentaire, en chapitres parfois très brefs, formant des chroniques ou des « choses vues » sur la vie d’un ensemble d’immeubles habités par des classes moyennes inférieures quelque part dans Montevideo, à la charnière du vingtième et du vingt et unième siècle.

Le texte semble largement autobiographique, avec un narrateur qui s’exprime à la première personne, parfois «je», parfois «nous», incluant sa famille ou ses amis, Sami et Lucas, qui font à leur tour l’objet de chapitres à la troisième personne. Ce narrateur veut témoigner, longtemps après, pour l’ensemble des habitants des immeubles. Il réfléchit aussi à sa démarche en déclarant avoir été inspiré par Augusto, un ami brésilien qui a lui aussi écrit sur son quartier de la ville de Sao Paolo. Cela nous renvoie au travail de l’auteur sur la littérature brésilienne contemporaine et renforce l’impression d’autobiographie.

On y voit l’évolution de cet ensemble d’immeubles qui vont inexorablement se dégrader malgré les espoirs de vie meilleure des premiers occupants, à travers le regard de ceux qui y ont vécu leur enfance et leur adolescence, entre la fin de la dictature (1985) et la crise économique du début des années 2000. Le narrateur vit avec une mère dépressive et suicidaire, sa voisine Sami gagne un peu d’argent en vendant les produits d’une boulangerie voisine au porte à porte, dans les cages d’escalier des immeubles. Les ascenseurs se déglinguent, il y a des disputes, des bagarres, parfois le sang coule, il y a aussi des parties de football, ou bien le feu prend sur un terrain vague peuplé de rats. La police est malvenue dans le quartier, et parfois elle tire sur les jeunes. Certaines familles, avec le temps, arrivent à s’échapper vers d’autres quartiers. 

Il y a une intéressante métaphore dans un chapitre vers la fin du livre où l’auteur suggère un parallélisme entre le fait de fouiller le passé et celui de déterrer des bombes non-explosées dans des villes autrefois bombardées. Ou bien quand il est dit que les seuls qui savent la vérité sur le quartier sont ceux qui en fouillent les poubelles. (Et là me revient à la mémoire le livre « Pichis » de Martin Lasalt, pourtant très différent de celui-ci). Le thème de la fuite du passé et des métamorphoses urbaines rappelle aussi « Irse yendo » de Leonor Courtoisie, chez le même éditeur, et déjà commenté par le Trapiche, bien que socialement ce ne soit pas tout à fait le même type de quartier. 

En fin de compte un roman qui n’en est pas vraiment un, très bien écrit, mais qui ne verse pas dans l’allégresse. 

 

Foto_Gonzalo-Baz-web

15 janvier 2024

«Delirio americano» , de Carlos Granés. (par Antonio Borrell)

delirio americano

Editorial Taurus, Barcelone, 2022, 600 pages

ISBN : 9788430623914

Carlos Granés est né à Bogota en 1975. Docteur en anthropologie sociale de l’Université Complutense de Madrid et diplômé de l’Université de Berkeley. Auteur de nombreux essais et correspondant ou éditorialiste de revues et journaux dans plusieurs pays, couronné par divers prix, dont le prix Simon Bolivar de journalisme en 2020. Il peut se définir comme un libéral modéré, critique des tendances national-populistes de droite comme de gauche, et des dérives « postmodernes » comme des impostures « décoloniales ». Sa proximité avec Mario Vargas Llosa lui vaut l’inimitié d’une certaine gauche rance et pseudo-radicale. Bon nombre de ces « révolutionnaires » finiront peut-être un jour plus à droite que Vargas Llosa lui-même, tant les passerelles sont glissantes entre extrême-gauche et extrême-droite. C’est d’ailleurs un des thèmes importants du livre. Actuellement, en français, un seul texte de Carlos Granés semble disponible : sa préface au livre de Mario Vargas Llosa intitulé « De sabres et d’utopies », chez Gallimard. J’ai traduit et publié sur mon autre blog un de ses articles sur l’idéologie dite « décoloniale ».

2022 : 17 juillet : Les contradictions de la pensée décoloniale, un article de Carlos Granés. - Dix ans de retard

Carlos Granés (1975) est un universitaire, journaliste et essayiste colombien résidant en Espagne. Il est notamment l'auteur d'un...

http://dixansderetard.canalblog.com

Ce livre est ce qu’on appelle un « pavé » passionnant, de six cents pages (dont une centaine en notes et index, plus un cahier central d’illustrations en couleurs). Il est immédiatement évident qu’on se trouve devant un futur classique, un ouvrage de référence, que tous les étudiants liront, comme les générations précédentes ont lu « Les veines ouvertes de l’Amérique latine » d’Eduardo Galeano (dans les années 80 tous les profs de fac plus ou moins marxisants le faisaient lire, mais dans les années précédant sa mort l’auteur lui-même a publiquement renié cette œuvre, tant sur la forme que sur le fond. J’aurais aimé voir la tête de certains de mes anciens profs.), ou « La Parole et le sang » d’Alain Touraine dans les années 90. Même s’il ne le cite que trois fois, Granés prend Galeano à contrepied, mais son propos est beaucoup plus large et moins manichéen.  

Le sous-titre de l’ouvrage est parfaitement clair : « Une histoire culturelle et politique de l’Amérique latine ». C’est d’idéologie au sens large qu’il est question : il s’agit d’étudier comment s’articulent les idées sur l’Amérique latine exprimées dans la littérature, la poésie mais aussi la peinture, et leurs traductions dans le large éventail du champ politique. Les questions d’identité, de métissage, de place des autochtones, d’influences européennes et nord-américaines, revendiquées ou rejetées sont étudiées sur une période qui va de la fin du dix-neuvième siècle à nos jours ! Le livre est accompagné d’un très utile dépliant de trois pages de largeur où figure un tableau récapitulatif des différents courants de pensée, à vrai dire c’est plus une carte qu’un tableau, il n’y a pas de cases mais des flèches multiples qui se divisent, se croisent et se rejoignent comme un réseau hydrographique des idées circulant entre modernisme, révolution mexicaine, muralisme, cubisme, surréalisme, indigénisme, fascisme, dictatures, révolution cubaine, boom, allendisme, sandinisme, péronisme, populismes, zapatisme, et bien d’autres.

delirio americano mapa

L’auteur lui-même propose plusieurs parcours de lecture à travers son œuvre. On peut la lire d’un seul trait, de A à Z, ou bien la considérer comme plusieurs essais distincts, chacun correspondant à une période historique. On peut aussi la considérer comme un ouvrage de référence auquel on reviendra fréquemment pendant des années, presque une encyclopédie. Grâce à son index il y a de très nombreuses entrées qui donnent envie d’en découvrir encore plus, pour ma part c’est ainsi que je l’ai pris : mon esprit fait le cheval échappé. Je conseille aussi fortement au lecteur de se munir d’un crayon, car il y a beaucoup à souligner ! Pour les passionnés d’histoire et de culture latino-américaines, « Delirio americano » sera une mine inépuisable.

Après un prologue sur la mort de José Marti à Cuba en 1895, les trois grandes parties du livre s’intitulent :

« Un continente en busca de si mismo : el americanismo y los delirios de la vanguardia » (1898-1930)

« Los delirios de la identidad : la cultura al servicio de la naciòn » (1930-1960) 

« Los delirios de la soberbia : revoluciones, dictaduras y la latinoamericanizaciòn de Occidente » (1960-2022)

Au début, c’est une Amérique latine qui se cherche et va se définir notamment en opposition à l’Amérique du Nord. Trois ans après la mort de Marti, il y a le soutien intéressé des USA à l’indépendance cubaine contre l’Espagne en 1898, qui marque le début d’une longue série d’interventions dont on ne sait pas si elle est finie à ce jour… Après Marti, la génération des poètes modernistes, Ruben Dario en tête, s’attaque à la définition de cette identité latino-américaine, mais c’est l’uruguayen Rodò qui est l’auteur d’un livre court et marquant, « Ariel » qui est à l’origine du courant de pensée dit « arielismo » posant l’opposition fondamentale entre « catholiques-latins-idéalistes » et « anglosaxons protestants mercantilistes », identifiés respectivement aux personnages shakespeariens Ariel et Caliban. Par la suite l’ariélisme connaîtra diverses variantes et évolutions, sans cesser d’être un fil rouge de la pensée latino-américaine et des fluctuations du « delirio americano ». Au début cette identité latino-américaine est très proche de l’identité catholique et gréco-latine du sud de l’Europe, et ignore la dimension amérindienne autochtone, car cette jeune élite est descendante de colons européens. Avec le temps et en fonction des réalités de chaque pays, l’ariélisme va se nuancer avec la prise en compte des identités indigènes (parfois fantasmées), et des divers métissages issus de l’époque coloniale, ainsi que des idéologies politiques du vingtième siècle comme le communisme et le fascisme qui ont en commun cet anti-yankisme viscéral. La variante prédominante de l’ariélisme aujourd’hui serait l’opposition « latino-colonisé-tiersmondiste » contre « impérialiste-capitaliste » du nord. Mais on a connu aussi un ariélisme teinté de fascisme et d’antisémitisme qui voyait dans le yankee une sorte de « judéo-maçon-protestant-capitaliste-anglosaxon ». La politisation des questions identitaires engendre des monstres.

Carlos Granés est sévère avec toutes ces tendances et n’épargne personne. C’est là que certains procès qui lui sont faits perdent beaucoup de leur pertinence. Son analyse détaillée n’empêche pas le livre de se lire avec un grand plaisir, « comme un roman » dirait-on, un roman qui fourmille de personnages complexes et passionnants ! Cette fresque des relations pas toujours désintéressées entre arts, littérature et idéologies politiques nous fait découvrir et comprendre la formation intellectuelle et l’évolution, par exemple, du péruvien Haya de La Torre, fondateur de l’APRA, ou bien il analyse l’infect bouillon de culture du péronisme où mijotaient ensemble extrême droite et extrême gauche, tandis qu’un général arriviste et sans scrupule tenait la cuillère en bois. Il n’épargne pas non plus les violentes dictatures militaires antipéronistes. 

Ce que souligne et déplore Carlos Granés, ce « délire américain », c’est la tendance latino-américaine aux extrêmes polarisations politiques, les « révolutionnaires » de tous poils qui ne laissent guère de place aux tendances plus centristes. Pire, c’est souvent les centristes ou modérés qui sont les premières victimes des conflits entre les extrêmes, comme l’ont montré les interminables conflits dans divers pays d’Amérique Centrale. Les cas du général évangélique et génocidaire Rios Montt au Guatemala, ou du poète salvadorien communiste Roque Dalton assassiné par ses « camarades » en sont de terribles illustrations. 

J’ai entrepris cette lecture de façon transversale, en passant par l’index pour suivre certaines idées, personnages, ou l’évolution des pays à travers les époques, un peu chaque jour, et le livre va encore m’accompagner longtemps, grâce à ce caractère de dictionnaire encyclopédique. Je ne cesse de souligner des passages et corner des pages. Évidemment, même en cinq-cents pages, il était impossible d’être exhaustif… Je me suis amusé à recenser quelques noms « qui n’y sont pas » et en voici une première liste basée sur mes intérêts personnels : Jaime Roldos, Rafael Barrett, Ernesto Sàbato, etnocacerismo, Humala… Ce qui n’empêche que j’ai encore beaucoup à apprendre de ce livre.

La troisième partie est particulièrement intéressante parce qu’elle embrasse le début de notre siècle, période qui forcément, n’avait pu être traitée ni par Galeano, ni par Touraine, avec une nouvelle vague de régimes nationaux-populistes de gauche comme de droite : Fujimori au Pérou, Bucaram en Equateur, Uribe en Colombie, puis le « socialisme du XXIème siècle » avec Chavez au Venezuela, Evo Morales en Bolivie, Correa en Equateur, les Kirchner en Argentine, Lula au Brésil, puis nouveau coup de barre à l’extrême droite avec Bolsonaro, et là encore, la liste n’est pas exhaustive. À cette époque, certaines gauches européennes sont fascinées par leurs homologues latino-américaines, comme Podemos en Espagne, ou Mélenchon en France. (La génération précédente avait bien été fascinée par la dictature castriste). La bonne nouvelle pour cette époque est peut-être une certaine prise de distance des écrivains vis-à-vis du pouvoir politique. Un des thèmes du livre est la réflexion sur ce que signifie l’engagement politique pour les artistes, et la différence entre engagement et allégeance ou arrivisme.

L’épilogue nous ramène à Cuba, comme le prologue avec la mort de Marti en 1895, en 2016 avec la mort de Castro. L’auteur apprend ce décès alors qu’il participe à la célèbre foire internationale du livre de Guadalajara, il est alors frappé par le peu d’émotion que cause cette nouvelle.

Enfin, ce livre est indispensable, il sera un pilier pour toute bibliothèque sur l’Amérique Latine. Je tiens de source sûre qu’une traduction en chinois est prévue, mais pas en français ! C’est peut-être ce genre de détail qui fait la différence entre une puissance montante et une puissance déclinante. Ce n’est pas très bon signe pour la France !

Carlos_Grann_s_apaisada

4 janvier 2024

« El Derrumbamiento », d’Armonia Somers. (par Antonio Borrell)

portada_derrumba

 

Editorial Contrabando, Valencia, 2021, 120 pages

ISBN : 978-84-122452-6-4

Armonía Liropeya Etchepare Locino, dite Armonia Somers, née à Pando, non loin de Montevideo, en 1914, échappe aux classifications littéraires, comme un certain nombre d’autres auteurs uruguayens. Chronologiquement, elle aurait pu faire partie de la « génération de 1945 », dont les figures les plus connues furent Mario Benedetti, Ida Vitale, Idea Vilariño, Angel Rama… Mais elle resta en marge et cultiva longtemps le flou sur sa biographie, d’autant plus que ses écrits pouvaient paraître scandaleux dans la mentalité conservatrice de l’époque. Elle fut institutrice, puis se spécialisa dans l’étude de la délinquance juvénile et à ce titre représenta son pays lors de missions auprès de l’OEA et de l’UNESCO. Son œuvre littéraire, peu abondante, touche à l’étrange, au fantastique et à l’érotisme. 

De 1950 à sa mort en 1994, elle aura publié une douzaine de livres entre romans et recueils : La mujer desnuda, 1950, De miedo en miedo, 1965, Un retrato para Dickens, 1969, Viaje al corazón del día. Elegía por un secreto amor, 1986, Sólo los elefantes encuentran mandrágora, 1986, El derrumbamiento, 1953, La calle del viento Norte y otros cuentos, 1963, Muerte por alacrán, 1978, Tríptico darwiniano, 1982, La rebelión de la flor, 1988, El hacedor de girasoles, Montevideo, 1994. Il semblerait que seul « Mort par scorpion » ait été publié en français, en 1987, chez Arcane 17, mais « El Derrumbamiento » a été traduit sur la base de l’édition de Contrabando et avec la même préface. On attend la parution.

 

Cette édition espagnole du deuxième livre d’Armonia Somers est précédée d’une préface extrêmement intéressante signée par l’écrivain uruguayen Gustavo Espinosa, que les lecteurs du Trapiche connaissent déjà. Elle se compose de cinq contes d’une vingtaine de pages. Outre la préface, j’ai aimé le conte éponyme qui ouvre le recueil. Au-delà, j’avoue avoir éprouvé une certaine difficulté à entrer et me frayer un chemin dans la prose luxuriante d’Armonia Somers. C’est certainement ma faute, mea maxima culpa. Peut-être un moment mal choisi pour cette lecture. J’en garde la curiosité de lire d’autres de ses livres, pour corriger cette première impression, et d’en apprendre plus sur Armonia Somers elle-même, dont je me suis formé une image à la Sarah Bernhardt, qui pourrait sortir d’un de ses contes obscurs. 

El derrumbamiento (L’effondrement) : un homme fuit dans la nuit, sous la pluie, dans la boue, trempé, mal chaussé, poursuivi. Il a tué, il est noir. Il invoque la vierge Marie, attend son aide qui ne vient pas, il la maudit. Il arrive devant une masure presque en ruines, frappe à la porte, on lui ouvre, c’est un marchand de sommeil qui héberge d’autres gueux, qui dorment à même le sol, dans la pénombre. Alors qu’il s’endort, le fuyard voit descendre vers lui la vierge, qui va lui proposer un étrange pacte… Ce texte qui mêle angoisse, érotisme et sacrilège est terriblement transgressif pour l’époque, même si on n’y trouve aucun mot explicite, tout est en images chastes et sans aucune lueur d’espoir !

Requiem por Goyo Ribera : Goyo Ribera est mort d’une maladie contagieuse, des croque-morts masqués vont le conduire au cimetière, alors qu’une seule personne en deuil forme le misérable cortège. Il s’agit de Martin Bogard, qui fut amoureux de Goyo dans sa jeunesse. Le corbillard va trop vite et Martin se trouve distancé et égaré dans une ville inconnue, scène à la fois cocasse et sinistre qui ferait penser à du Mario Levrero, mais la chronologie est formelle, c’est Levrero qui a lu Somers ! La suite du conte évoque divers épisodes de la vie de Martin, certains cocasses, mais on s’y perd un peu…

El despojo : Ici c’est encore l’histoire d’une fuite, comme dans « El derrumbamiento », celle d’un employé de ferme qui était l’amant de la femme de son patron. Dans sa fuite il viole une adolescente… 

La puerta violentada : un coiffeur dégoûté de son métier devient fou parce qu’il a perdu à la loterie et il rend folles ses sœurs célibataires…

Saliva del paraiso : j’ai eu du mal à suivre le fil de ce texte qui se focalise successivement sur divers personnages qui se croisent au cours d’une soirée pluvieuse, parfois sans se voir, et vivent tous des moments dramatiques de leur existence…  

Obscurité, pluie, solitude, fuite et mort…

 

 

 

22 décembre 2023

"La Galaxia Góngora", de Gustavo Espinosa. (par Antonio Borrell)

La-galaxia-Gongora-tapa-en-baja

Editorial HUM, Montevideo, 2021, 230 pages.

ISBN : 978-9915-653-97-6

Gustavo Espinosa est un écrivain uruguayen né en 1961 à Treinta y Tres, petite ville du nord-est du pays, sur les rives du rio Olimar et berceau du folklore national. Il est professeur de littérature dans le secondaire, critique, musicien, et auteur de plusieurs recueils de poésie et romans primés dans son pays. Il est aussi guitariste de rock et de blues. En 2001 il publie son premier roman « China es un frasco de fetos » (écrit dans les années 80) (une anti utopie sarcastique selon Mariana Pérez Balocchi) qui connait une diffusion limitée mais un vrai succès d’estime. « Carlota podrida » est couronné en Uruguay par le Prix National de Littérature en 2011. Primé à plusieurs reprises pour ses romans suivants, « Las aranas de Marte » (2011) puis « Todo termina aquì » (2016, prix Bartolomé Hidalgo),  Gustavo Espinosa s'impose comme un auteur majeur en Uruguay. En 2018 « China es un frasco de fetos » est réédité en Argentine chez Alto Pogo. En 2020 trois de ses romans sont publiés en Espagne en un seul volume sous le titre « Trìptico de Treinta y Tres » aux éditions Contrabando (Valencia), et « Carlota podrida » est traduit en français pour les éditions Latinoir sous le titre « Pourquoi j’ai enlevé Charlotte Rampling ». « La galaxia Góngora » en 2021 est son cinquième roman, sans doute le plus audacieux à ce jour.

 

C’est le cinquième roman de Gustavo Espinosa en plus de vingt ans d’activité, et le plus audacieux dans la forme, car près d’un tiers du livre est en vers baroques inspirés des Solitudes du poète espagnol du Siècle d’Or, Luis de Góngora. Le Trapiche a déjà commenté les quatre romans précédents, on verra donc que je ne suis pas très objectif sur cet auteur, comme sur quelques autres uruguayens. D’autant plus que depuis lors, j’ai traduit et publié en français une de ses nouvelles dans une anthologie bilingue, puis un de ses romans sous le titre « Pourquoi j’ai enlevé Charlotte Rampling », aux éditions L’atinoir. Ce travail m’a permis d’améliorer ma compréhension de l’auteur et de me rendre compte qu’à la première lecture bien des choses m’avaient échappé. Espinosa n’est pas une lecture facile, mais c’est une lecture qui apporte souvent des moments de jubilation, car ce prof de littérature dans un lycée de province ne se prend jamais au sérieux, contrairement à son traducteur français.

Les romans écrits entièrement ou partiellement en vers sont plutôt rares, il faut des éditeurs courageux pour se risquer à les publier. Dans la littérature uruguayenne récente il me revient l’exemple de « Muerte y vida del sargento poeta », de Martin Bentancor (déjà commenté par le Trapiche). Dans la littérature française je me souviens, sans l’avoir lu, de « À la ligne », de Joseph Ponthus, couronné par plusieurs prix en 2019, et qui était écrit en vers libres. 

Le livre d’Espinosa est en prose dans toute la première partie, soit deux bons tiers du total. Pourtant, même en prose, l’auteur ne tombe jamais dans la banalité ! Poursuivant ses expérimentations commencées dans le précédent roman, « Todo termina aquì », il joue sur différents registres pour narrer la genèse du texte gongorien. D’une part il pastiche une étude académique sur la vie et la formation intellectuelle de l’auteur, d’autre part, en alternant les chapitres, il nous plonge dans le récit de la vie d’un fermier uruguayen fuyant sa région d’origine après un incendie volontaire et une escroquerie à l’assurance, pour se réfugier à l’autre bout du pays. Comme dans « Todo termina aquì », il n’hésite pas à se mettre en scène lui-même avec quelques amis bien réels, comme des témoins ou des personnages secondaires de cette histoire.

On se trouve devant une œuvre dont la richesse et la complexité échappent à toute tentative de résumé. Essayons quand même !

L’histoire tourne autour d’Evergisto Richar Cuenca, un obscur poète originaire du village de Vergara, dans les rizières du nord-est uruguayen, issu d’une famille très modeste, qui fut étudiant à Montevideo au début des années 1980, sans arriver à obtenir de diplôme car ses difficultés économiques l’obligèrent à retourner chez lui. Après sa mort, on découvre qu’il a laissé un poème de deux mille vers gongoriens intitulé « La galaxia Góngora ». Il y a quelque chose des « Détectives sauvages » de Roberto Bolaño dans cette enquête sur Cuenca étudiant et ses amis dans l’Uruguay morose des dernières années de la dictature « civico-militaire » (1973-1985). C’est alors qu’il fait la connaissance d’autres jeunes gens qui partagent sa vocation littéraire, comme Gustavo Espinosa, Amir Hamed, Gustavo Alzugaray, Gustavo Verdesio, Sandino Nuñez, Lorena Narancio, qui existent tous dans notre réalité. Quant à Cuenca, il pourrait être un alter ego ou une excroissance détachée d’Espinosa lui-même, car ils ont en commun des origines géographiques et sociales, et des goûts littéraires, dont la fascination pour Góngora… Les mêmes personnages se retrouvent presque tous, mais avec des noms changés, et à une autre époque de leurs vies, dans le roman « Cién agujeros de gusano » de Gustavo Alzugaray, déjà commenté par le Trapiche. 

Dans les chapitres impairs, Espinosa laisse libre cours à son humour décapant, non dénué d’empathie et de nostalgie, pour raconter leur vie d’étudiants (période qu’il évoque aussi dans « Fenimore y su Blime », la nouvelle traduite pour « Autres histoires d’Uruguay » chez L’atinoir) et leurs débuts littéraires, en commençant par une première rencontre mouvementée dans une salle d’examens. Le récit prend la forme de témoignages des divers acteurs, ou d’articles critiques : « es un texto muy difìcil de contextualizar en cualquier territorializaciòn, recorte generacional o ismo de aquellos que segmentan una instituciòn no demasiado compleja como la poesìa uruguaya. » et encore « En literatura, la singularidad del monstruo, la mutaciòn aparecida al margen de los protocolos previsibles de la evoluciòn, suele producir -paradojicamente- la invisibilidad de una obra… ». Pas de quartier dans l’ironie : « una editorial independiente de las que han surgido en estos dìas con un entusiasmo anàlogo al de las cervecerìas artesanales ». J’ai corné tant de pages dans le livre que je pourrais remplir des paragraphes entiers de citations !

Dans les chapitres pairs le personnage principal n’est plus E.R. Cuenca mais un certain Juan Rollfinke, éleveur ruiné de la région de Nueva Helvecia à l’ouest de Montevideo. Pour escroquer son assurance il met le feu à sa ferme puis s’enfuit avec sa famille dans une vieille Ford surchargé. Avec son épouse et sa fille Lucìa, adolescente révoltée et enceinte qui ne veut pas dire qui est le père, il va se cacher et refaire sa vie à l’autre bout du pays, à Vergara, oui, le village d’origine de Cuenca. Le lien chronologique entre les deux fils narratifs se fait à travers un épisode historique, la « rupture de la tablette » (26 novembre 1982), un dispositif régulant la parité entre dollar et peso qui ne résista pas à la réalité économique. Cet évènement précipite la ruine de Rollfinke et celle de Cuenca. Espinosa raconte d’une façon très amusante comment l’esprit limité de Rollfinke se représente cette « rupture de la tablette » comme un fait matériel dont il a du mal à comprendre l’effet sur sa vie, alors qu’il est par ailleurs partisan du gouvernement autoritaire de l’époque. Là-dessus se greffe l’histoire de « Cabeza de Mondongo » un assassin originaire lui aussi de Vergara, emprisonné au début de l’histoire, qui bénéficiera d’une amnistie au moment où la dictature arrivant à sa fin relâche de nombreux prisonniers politiques du mouvement tupamaro, au grand dam de Rollfinke et ses proches. Il y aura une fin très noire et tragique. 

Les deux narrations convergent vers ce village de Vergara où Cuenca va rencontrer Lucìa, et où naîtra la fille de celle-ci, tandis que Rollfinke se consacre à la contrebande avec le Brésil en passant par la ville frontière de Yaguaròn. On est là en plein dans le terroir littéraire d’Espinosa, entre Treinte y Tres et le Brésil, comme dans « Todo termina aquì » où un chapitre essentiel se situe à Acegua, autre ville frontière. Après cinq romans il y aurait peut-être matière à réaliser un atlas. 

Mais Espinosa est bien plus qu’un auteur de terroir, c’est aussi un homme à la culture immense, comme en témoigne son pastiche de critique littéraire académique dans les chapitres pairs, toujours avec une touche de dérision. Au passage on verra qu’il a aussi une sacrée culture littéraire française, bien qu’il ne parle pas la langue, il connaît nos classiques, de Flaubert à Moebius. 

Pour le plaisir, encore une citation : «Los escritores y sus satélites (crìticos, reseñistas, editores) suelen relacionarse mediante el desdén. Los concursos literarios, màs que otras instituciones, concentran el desprecio rumoreado en vernisages y pubs, voceado e impreso en separatas culturales que terminan en una feria vecinal, envolviendo grandes bananas del Ecuador, sin que una pupila humana se haya detenido jamàs a acariciar el veneno de sus adverbios.». C’est ainsi que le premier opus du poète E.R. Cuenca, un recueil de poésie érotique très osé gagne un concours sous le titre « Labios mayores » (Grandes lèvres). Mais à partir de ce moment, l’auteur va vivre dans la hantise d’avoir attiré l’attention de la censure et des forces de répressions, d’être emprisonné et torturé. Il tombe dans un oubli presque complet après avoir cessé d’écrire et quitté la capitale. C’est des années plus tard, après des évènements auxquels le tueur « Cabeza de Mondongo » est mêlé, et la mort de Cuenca, que ses anciens amis apprennent qu’il a laissé ce long poème « La galaxia Góngora ».

Le lecteur se trouve alors devant ce « monstre », la dernière partie du livre, presque deux mille vers baroques, dont le contenu général a été révélé dès la première page du roman. Alors pourquoi les lire ? Ce n’est plus dans les habitudes du lecteur moyen ! Pour ma part, dans mes années de licence d’espagnol, j’ai été initié davantage à Baltasar Graciàn qu’à Luis de Góngora. Chaque prof a ses lubies, et les étudiants doivent bien s’y conformer. Au seuil de cette lecture j’ai donc fait quelques recherches sur internet et j’ai trouvé une citation de Lorca disant que les vers gongoriens s’étudient plus qu’ils ne se lisent. Pour rafraîchir ma mémoire j’ai parcouru en diagonale une version originale des Solitudes disponible en ligne. Et puis je me suis lancé !

Espinosa s’est livré à un exercice de virtuosité dont lui seul était capable, non seulement en Uruguay, mais peut-être même au monde. Je n’ai sans doute pas la culture nécessaire pour avoir tout compris, mais il faut lui tirer son chapeau. Il réussit le tour de force d’écrire ces vers alambiqués et truffés d’allusions aux classique de l’Antiquité et du Siècle d’Or (mais également aux années 1900 en Uruguay) pour raconter une histoire où se mêlent la réalité la plus vulgaire de l’Uruguay profond et rural, les machines agricoles rouillées, les motos chinoises, les chaussures de sport arrivées de Shangaï à pleins conteneurs (autant d’éléments omniprésents dans ses autres romans) et des évènement relevant du fantastique ou de la science-fiction la plus débridée. Même si certains passages sont ardus, le sarcasme est toujours là : je ne m’attendais pas à rire autant en lisant des vers gongoriens ! 

Dans une interview récente, Gustavo Espinosa invite toute personne qui voudrait écrire des romans à lire d’abord de la poésie. Une discipline qu’il s’impose manifestement lui-même. Ce livre paru en 2021 marque déjà de son influence la littérature uruguayenne, ayant inspiré (très librement) en 2022 un spectacle de la dramaturge Sandra Massera qui a été présenté en Espagne au festival d’Almagro. 

Gustavo Espinosa: "Lean poesía escrita en castellano si quieren escribir narrativa"

La editorial HUM reeditó la novela "Carlota podrida" del escritor olimareño, originalmente publicada en el 2009 y en el 2011.

https://www.latidobeat.uy

 

 

 

 

 

 

 

10 novembre 2023

« Cien palomas muertas », d’Elida Saidler. (par Antonio Borrell)

cien-palomas-muertas-erica1-320cfe851297141fc716199858801889-640-0

 

Editorial Conejos, Buenos Aires, 2019, 180 pages. 

ISBN : 978-987-3609-27-5

 

Elida Saidler est née à Buenos Aires en 1964. Elle est médecin et écrivain. Elle a publié un premier recueil de nouvelles sous le titre « La resistencia de los àrboles » en 2012. « Cien palomas muertas » est son premier roman. Un autre livre est à paraître fin 2023, sous le titre « La soledad es otro cuerpo ».

« Cien palomas muertas » est le roman d’un retour au pays natal, trente-cinq ans après, sur les traces des regrets, des souvenirs et des peurs de l’enfance et sur fond de dictature des années 70. Manuel Pedroza a quitté l’Argentine et fait sa vie en Grande Bretagne où il a été photographe de mode avant de se reconvertir dans la photographie animalière, se spécialisant dans les oiseaux et les rapaces. Il a aussi fondé une famille avec une anglaise, et a deux grands enfants. Il revient au village de Dos Ceibos, dans la région de Rosario, sur les rives du fleuve Parana, pour vendre la maison familiale. Il y retrouve son cousin Jorge, qui est aussi son ami d’enfance, resté au pays. On est au mois d’avril, l’automne est là, les pluies font gonfler le fleuve.

Dès le premier matin, en se promenant il se fait agresser et voler par un inconnu. Par petites touches, on en apprend un peu plus sur lui et sa famille. Souffrant d’insomnie chronique, il espère que ce voyage aura aussi un effet thérapeutique, et son psychologue anglais lui a conseillé de tout noter dans un carnet. La narration évolue entre première et troisième personne, entre présent et passé, changeant souvent d’un paragraphe à l’autre, mais l’auteur maîtrise assez bien son écriture pour ne pas nous perdre.

On découvre que le père de Manuel était un homme très dur et conservateur, maire du village et compromis avec la dictature, et que son principal homme de main était le policier dont le fils a hérité de la même charge. Les relations entre père et fils étaient très difficiles pour le second, et la mère bien que protectrice était très effacée devant son mari. Alors le soupçon s’éveille : ce père aurait-il était impliqué dans des morts et des disparitions ?

Avec l’aide de Jorge, Manuel voudrait reprendre contact avec son premier amour, Eugenia, qui était la fille du vétérinaire du village, politiquement suspect aux yeux de la dictature, et dont il n’a jamais eu de nouvelles. On suit les deux hommes jour après jour entre Dos Ceibos et Rosario, entre démarches administratives et rencontres fortuites, nuits d’insomnie et recherche d’Eugenia. De petites intrigues secondaires se nouent, et les sombres affaires du passé vont s’éclaircir, conduisant Manuel à une décision radicale pour le reste de sa vie.

De plus, ce livre a éveillé en moi quelques souvenirs, sans doute parce que je suis de la même génération qu’Elida Saidler, et surtout quand elle évoque les adolescents écoutant Supertramp sur une cassette !  J'ai aussi aimé la présence de la nature et des oiseaux.

be8f8746-8b6e-4ce1-ae44-36b55514e9a6

10 novembre 2023

« Un lagarto se desprende la cola », de Pablo Silva Olazábal (par Antonio Borrell)

UN-LAGARTO-SE-DESPRENDE-LA-COLA_16x9-1-e1665161661649

 

 

Editorial Fin de Siglo, Montevideo, 2022, 110 pages

ISBN : 978-9915-672-08-3

 

Pablo Silva Olazábal est un journaliste et critique littéraire et auteur uruguayen né en 1964 à Fray Bentos. Dans les années 70 sous la dictature « civico-militaire » ses parents s’exilent en Europe, et c’est à Madrid qu’il suit une formation d’enseignant. De retour en Uruguay à la fin de la dictature, il fait des études de communication. Il participe aussi à des ateliers d’écriture, dont ceux de Mario Levrero. Il est aujourd’hui animateur d’émissions radiophoniques culturelles et littéraires ainsi qu’organisateurs de rencontres et d’événements publics dans ces mêmes domaines. Personnage affable, érudit, avec un côté très « British », il est un incontournable de la vie littéraire uruguayenne.

Bibliographie : “La revolución postergada y otras infamias” (cuentos) Ediciones de la Balanza (2005) , “Entrar en el juego” (relatos) Yaugurú (2006) , “Conversaciones con Mario Levrero” Trilce (Montevideo, 2008). Luego impreso por Lolita Editores (Chile, 2012) et Conejos (Buenos Aires, 2013) , “La huida inútil de Violeto Parson” (novela) Dixi (2012) ,“Lo más lindo que hay” (cuentos) Ediciones Outsider (2015) , “Pensión de animales” (novela) Estuario (2015) et « El run run de las cosas » en 2020, puis « A través de un breve laberinto » (cuentos) Editorial Astromulo (2021) et « Un lagarto se desprende la cola » (2022). En 2023 « Pensión de animales » et réédité en Espagne chez Contrabando.

 

Même si on peut très bien les lire séparément, ce livre présente une continuité avec « El run run de las cosas », déjà commenté par le Trapiche. Tous deux sont à la limite entre le recueil de contes et le roman, grâce à un fil conducteur qui unit les différents chapitres. Les deux livres sont aussi reliés par l’évocation d’un auteur imaginaire du nom d’Héctor Corvalàn Ramos. Pour le premier livre, cet homme est l’auteur supposé, pour le second livre l’auteur présumé est un certain Julio Piedracueva qui aurait connu le premier dans sa jeunesse, et l’évoque dans ses souvenirs. On pourrait schématiquement dire que « El run run de las cosas » est un livre consacré au rêve et « Un lagarto se desprende la cola », à la mémoire. En cela aussi, ils se complètent. Si la mémoire est essentielle, elle n’est pas infaillible, elle a même besoin d’être imparfaite, l’oubli est indispensable pour avancer, comme le dit Julio Piedracueva : « La mémoire est un lézard qui se sépare de sa queue pour continuer à courir ». D’où le titre.

Avec une certaine ironie, alors que le texte se présente comme une réponse à une demande de témoignage sur Corvalàn, Piedracueva parle beaucoup plus de lui-même que de son ami.  Chaque chapitre est centré sur un épisode plus ou moins traumatique de son enfance et son adolescence dans la petite ville de Fray Bentos (ville natale de Pablo Silva) au bord du fleuve Uruguay dans l’ouest du pays, connue surtout pour ses conserveries de viande.

C’est souvent pendant l’été (austral) et à l’heure de la sieste, quand le village semble assoupi, que le petit Julio et des cousins ou amis commettent des bêtises qui tournent mal. Plus tard, avec l’adolescence, s’y ajoutent des tentations et expériences érotiques ou sexuelles, des bagarres avec les mauvais garçons du coin…  

Un des intérêts du livre est de nous entrouvrir un volet pour scruter indiscrètement la vie des familles ordinaires de l’intérieur de l’Uruguay il y a une cinquantaine d’années, les conversations, les jeux de cartes, les promenades avec les chiens. Mais parmi la dizaine d’épisodes évoqués, il en est deux particulièrement réussis : au chapitre 8 la scène silencieuse, chargée d’un érotisme presque incestueux, avec la tante Lucrecia, et sa chute douloureuse, au chapitre 10, plus amusante malgré une certaine tension, l’initiation sexuelle de certains personnages dans la maison des sœurs Burilé ne manque pas de sel !

13

1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 20 > >>
LES LETTRES DE MON TRAPICHE
  • Comptes-rendus de lectures (en français) sur des auteurs et livres d'Amérique du Sud non traduits en français. Blog créé et géré par un auteur péruvien (J. Cuba-Luque), un français (A. Barral) et une traductrice (L. Holvoet). Trapiche : moulin à canne
  • Accueil du blog
  • Créer un blog avec CanalBlog
Archives