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LES LETTRES DE MON TRAPICHE
29 janvier 2017

"Viralata" de Fabian Severo, par Antonio Borrell

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Editorial Rumbo, Montevideo, 2016. 200 pages. ISBN 978-9974-734-03-06

 

Fabian Severo est né en 1981 a Artigas, ville de l’extrême nord-ouest de l’Uruguay a la frontière du Brésil sur le fleuve Cuareim. Dans le département d’Artigas et dans celui, voisin de Rivera, comme ailleurs sur le continent au long des frontières entre le Brésil et ses voisins, la population parle une langue mixte, entre espagnol et portugais, le portugnol. Fabian Severo est un des auteurs pionniers de la littérature en portugnol. Loin, très loin de Montevideo, cette région rurale et déshéritée souffre donc à la fois de pauvreté et de marginalité culturelle. Fabian Severo en rend compte à travers son œuvre, d’abord poétique (Noite nu Norte, 2010, Viento de Nadie, 2013, NosOtros, 2014). « Viralata » est son premier roman. Il est par ailleurs professeur de littérature en lycée et animateur d’ateliers d’écriture. Avec lui nous découvrons une nouvelle variété d’écriture en portugnol, bien différente de celle de Douglas Diegues déjà évoquée dans Les Lettres de mon Trapiche, le « portugnol sauvage » paraguayo-brésilien.

 

« Viralata » pourrait se traduire par « bâtard » au sujet d’un chien de race et de couleur difficiles à déterminer. En l’employant à propos d’un humain, on ajouterait l’idée de celui qui parle une langue non-reconnue, un « patois », le portugnol, et dont l’identité  reste imprécise… Tel est le cas du narrateur de ce roman marqué d’une grande tristesse et d’une profonde nostalgie. La prose poétique en portugnol de Fabian Severo permet de surmonter la note déprimante qui domine son récit.

Un jour dans une école d’Artigas, une maitresse demande à ses élèves de dessiner leur arbre généalogique, et le jeune Fabi, narrateur de ce roman, va s’apercevoir que son arbre ne ressemble pas à ceux des rois des livres d’histoire. Dans sa famille comme dans bien d’autres de cette région, il manque des branches et des racines, les arbres sont tordus, penches, malades… Cette métaphore végétale va être un des fils conducteurs du récit. A travers la vie de Fabi on découvre ce qu’est l’existence des pauvres gens dans cet autre Uruguay ou les trains ne vont plus, ou l’horloge de la gare est arrêtée depuis longtemps.

« La Frontière », région où Dieu n’a pas fini son travail de création, est peuplée de grand-mères élevant les enfants dont les mères sont parties pour Montevideo à la recherche d’un emploi de bonne ou de petite main. Et de pères, il n’y en a pas beaucoup, ou quand il y en a, ce sont des ivrognes, violents avec leurs femmes et abusant de leurs filles, ce qui tord encore plus les arbres généalogiques. On est loin de la très laïque Montevideo, la religion reste très influente chez les plus pauvres, mêlant catholicisme et cultes afro-brésiliens.

Heureusement pour Fabi, il y a la Mama, sa grand-mère, la madre, sa mère, et puis son parrain veuf et qui a lu des livres, et la Chata, sa chienne, « viralata » comme lui, pour égayer l’enfance d’un écolier brillant amoureux des mots, mais il n’échappera pas à la malédiction que « la frontière » jette sur ceux qui sont nés là. La maladie et la mort de sa mère, l’indifférence des médecins pour les petites gens, le suicide du parrain, sont autant d’épreuves d’une vie qu’il consigne dans un cahier où seule la dernière ligne donnera une petite lueur d’espoir …

Le portugnol tel que l’écrit Fabian Severo est très abordable pour qui connait bien l’espagnol, il ne pose guère de problème à la lecture et certains termes spécifiques se déduisent assez facilement du contexte. On ne peut s’empêcher de faire le rapprochement avec l'occitan ou d’autres langues régionales de France, car ce « patois » chargée de poésie n’est pas reconnu dans l’enseignement, il est composé de plusieurs dialectes, et sa littérature décrit des modes de vie ruraux et marginaux… Bien sûr le portugnol n’a pas connu un âge d’or médiéval comme celui de l’occitan, car il est beaucoup plus récent. Avec le portugnol c’est une littérature émergente que l’on découvre : il y a encore peu d’auteurs et peu de textes, mais cela devrait passionner tous ceux qui s’intéressent à la diversité linguistique. Rendez-vous dans un siècle ou deux pour voir ce que sera devenue cette langue…

Extraits : (il n’y a pas de faute d’orthographe, c’est la graphie du portugnol selon l’auteur)

 “Mi historia impieza el día que la maestra nos enseñó el árbol de la familia de unos reye. En el pizarrón, dibujó los rey, despós los padre del rey y de la reina, los avô, y así siguió enllenando el pasado con gajos que se iban tan para atrás, que terminaban cerca de Dios. En el final de la clase, mando que nosotro hiciera de deber, el árbol de nuestra familia.”

“Nunca conoci nadies que tuviera familia con árbol de rey. En Artiga, todas las familia istán podada. Faltan padres, gajos, abuelos, ramas gruesas para agüentar las locura de cada estación.”

“El reloj de la istación istá parado en las nueve, para amostrar que en la frontera, el tiempo vive frenado (…) En la frontera, faz veinte año que siempre son las nueve.”

Severo

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  • Comptes-rendus de lectures (en français) sur des auteurs et livres d'Amérique du Sud non traduits en français. Blog créé et géré par un auteur péruvien (J. Cuba-Luque), un français (A. Barral) et une traductrice (L. Holvoet). Trapiche : moulin à canne
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