« Grushenka », de Javier Campillo (par Jorge Cuba Luque)
Javier Campillo, est né à Palma de Mallorca en 1967. Ses premières nouvelles ont été publiées dans des revues on line. Grushenka est son premier livre ; le récit qui donne le titre au volume a été objet d’une adaptation cinématographique. Il est le responsable de la bibliothèque de l’Instituto Cervantes de Toulouse, où il anime un club de lecture de littérature latino-américaine.
Quelque chose de vieilles photos aux couleurs fanées, de mélancolique, d’ « autant en emporte le vent », domine l’ambiance des récits contenus dans Grushenka, recueil de nouvelles de l’Espagnol Javier Campillo. Il s’agit d’une douzaine d’histoires situées pour la plupart dans l’Espagne des années 1980 quand le pays rattrapait le niveau de consommation du reste d’Europe et la jeunesse pratiquait les mêmes rites sociaux sous la marque de la Movida.
Ainsi dans « Grushenka », le titre phare du volume, un narrateur omniscient évoque ses années de lycéen, notamment l’image de la mère de l’un de ses camarades de clase avec laquelle il croisera un jour un rapide regard, regard que le narrateur croira un message autre que le geste de sympathie d’une mère à l’ami de son fils. Cette impression va s’accentuer lorsqu’en regardant l’adaptation cinématographique de « Les frères Karamazov » il trouvera une ressemblance étonnante entre la femme au foyer espagnole et Grushenka, la séductrice russe créée par Dostoïevski. Déjà adulte, il se sentira toujours fasciné par Grushenka, la sienne, par son regard, et évoquera ce temps- là, ‘esos momentos que se perderán en el tiempo como lágrimas en la lluvia’.
Dans « Verano del 86 » c’est le souvenir souvenir d’une colonie de vacances et les joutes pour séduire une animatrice française.
Les souvenirs sont une sorte de présent qui est en train de s’en aller comme dans « Padre » : une femme qui commence à entrer dans l’âge mûr voit que son père , très âgé et veuf, s’approche de la mort mais ni elle ni lui ne la craignent car ‘somos biodegradables’. Entre eux il y a de la solidarité plutôt que de l’amour filial. Elle a appris de lui que la mort est une fin de cycle normal et même bénéfique car elle permettra d’autres vies. Tout est très serein et rationnel, même leurs repas hebdomadaires. Mais un jour elle reçoit un appel téléphonique sur son portable. C’était un numéro inconnu mais elle sait que c’est l’hôpital et pourquoi on l’appelle ; soudainement elle ressent comme un coup de solitude.
Javier Campillo alterne l’explicite et le non dit, la nostalgie dont l’auteur sait bien qu’elle cache des parts d’ombre, et le choix d’oublier comme dans « El dolor ». Mais le volume contient aussi des récits liés aux problèmes humains de l’actualité mondiale tels que les réseau internationaux de prostitution et l’immigration ; ou les forces répressives des Etats comme l’inquiétant « « Orden, Libertad, Justicia »
En résumé, l’auteur de Grushenka nous raconte ses histoires avec un langage limpide, un rythme narratif harmonieux et intense à la fois. Et on voit qu’il maîtrise l’art du cuento, ce genre tellement cher à la littérature en langue espagnole : les narrateurs de Javier Campillo ne disent pas tout, il suggèrent, savent montrer au lecteur une ambiance et le laissent avec Grushenka dans ses pensées.