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LES LETTRES DE MON TRAPICHE
9 novembre 2017

"La esposa del Dr Thorne" de Denzil Romero. (par Antonio Borrell)

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Collection « La sonrisa vertical » , Editorial Tusquets, Barcelone, 1988, 210 pages.

 ISBN : 84-7223-360-X

 Denzil Romero (1938-1999), était un écrivain vénézuélien. Fils d’enseignants il se passionne très tôt pour la littérature mais il fait des études de droit et devient avocat, puis professeur de philosophie et de littérature. Auteur de romans historiques il verse volontiers dans « l’exagération du réel », la satire, l’érotisme et le « pseudoréalisme ». En 1983 il reçoit le prix Casa de las Américas pour « La tragedia del generalísimo », et en 1988 le prix « La Sonrisa vertical » pour « La esposa del doctor Thorne ». Il reconnait les influences d’Alejo Carpentier, Carlos Fuentes, Jorge-Luis Borges, José Donoso, Reinaldo Arenas, Proust, Faulkner…. Son tempérament satirique et iconoclaste lui a valu l’épithète d’ « antibolivarien », et son manque de déférence envers les « grands hommes » du passé lui attira quelques détracteurs acharnés. 

 Aucune de ses oeuvres n’est traduite en français : El hombre contra el hombre (1977), Infundios (1978, cuentos), El invencionero (1982, cuentos), La tragedia del generalísimo (1983, novela), Lugar de crónicas (1985), Entrego los demonios (1986, novela), Grand Tour (1987, novela), La esposa del Dr. Thorne (1987, novela), Tardía declaración de amor de Seraphine Louis (1988, novela), La carujada (1990), Parece que fue ayer (1991), El corazón en la mano (1993), Tonatio Castilán o un tal dios Sol (1993), Amores, pasiones y vicios de la Gran Catalina (1995), Para seguir el vagavagar (1998).

« La esposa del doctor Thorne » est une « biographie érotique » romancée de Manuela Sàenz, grande figure de l’épopée indépendantiste de l’Amérique latine, née à Quito capitale de l’actuelle république d’Equateur, célèbre pour sa grande liberté de moeurs, devenue la maîtresse de Simòn Bolivar, à qui elle sauva ensuite la vie lors d’un attentat. Manuela Sàenz a fait couler beaucoup d’encre, biographes et romanciers plus ou moins bien intentionnés, plus ou moins bien renseignés, on écrit sur elle à diverses époques : le livre de Denzil Romero s’inscrit donc dans une continuité, presque dans un genre spécifique créé autour de cette femme controversée. Publié avant « El General en su laberinto » (1989) de Gabriel Garcia Màrquez, « La esposa del doctor Thorne » commence par deux chapitres consacrés à Bolivar, au sommet de son pouvoir à Bogota en 1828, mais déjà proche de sa fin qui viendra en 1830. Alors qu’il participe à des réunions politiques, le Libertador pense à Manuela, et rêve de la rejoindre. Le troisième chapitre change donc complètement d’angle et se focalise sur elle en commençant par son enfance. 

 On est transporté dans le Quito de la fin du dix-huitième siècle et du début du dix-neuvième, colonie espagnole au coeur des Andes équatoriales, ville très catholique aux moeurs complètement dépravées, où même les monastères sont devenus des lupanars. Fille adultérine de deux riches créoles, Manuela baigne dans le péché dès avant sa naissance. En 1809 et 1810, alors qu’elle est encore enfant, commencent les premiers mouvements indépendantistes, durement réprimés. Sa mère la met à l’abri à la campagne, où elle vit une période idyllique en compagnie de ses deux jeunes esclaves noires, Jonatàs et Nathan, qui la serviront fidèlement toute sa vie. 

 A l’adolescence elle doit revenir à Quito où son éducation est confiée à un couvent. Ce sera l’occasion de ses premières expériences saphiques, avec un cousine religieuse, puis hétérosexuelles avec un moine, rien que de très ordinaire en ce temps et dans cette ville, dont l’auteur brosse un tableau aussi réaliste qu’irrespectueux. Intrigues ecclésiastiques et politiques, révoltes de bonnes soeurs et vices en tous genres en font le quotidien. Puis Manuela s’amourache d’un officier qui l’enlève de son couvent et la conduit au port de Guayaquil où ils vont se livrer à la débauche avec des marins tatoués venus de tous les horizons. Après cette histoire, retour à Quito où ses parents décident de la marier à un notable anglais, pour faire taire les mauvaises langues. C’est ainsi qu’elle devient « l’épouse du docteur Thorne ». Le couple déménage à Lima, capitale du vice-royaume du Pérou, et en bon mari, peu porté sur la chose, le docteur embauche un jeune et beau page, David, en espérant qu’un amant disponible à la maison retiendra sa femme de chercher ailleurs. Ce qui est mal la connaître…

 Lima restant la capitale des royalistes fidèles à l’Espagne, elle devient la cible des armées indépendantistes venant du sud avec le général San Martin, et du nord avec Sucre et Bolivar. Le tourbillon de l’histoire va s’emparer de Manuela, dont les sympathies vont aux indépendantistes. Sa meilleure amie étant l’amante de San Martin à Lima, Manuela devient celle de Bolivar, quitte son mari, et s’en va de bataille en bataille à travers les Andes. Elle sera encore avec lui dans l’exercice du pouvoir en Colombie, une fois l’indépendance acquise. Il est un peu dommage que le roman n’aille pas jusqu’au bout de cette vie trépidante et finisse en que de poisson.

 L’écriture de Denzil Romero, dans ce livre, est dense, parfois baroque, pleine d’énumérations, de références savantes, et elle pastiche un style dix-huitième qui a quelque chose de français et bien sûr de libertin. Il y a un peu un excès de scènes de sexe savamment décrites mais manquant un peu de passion, et qui de ce fait n’apportent pas grand-chose au récit… Parfois on tombe dans l’exercice de style, mais dans l’ensemble cette fresque bouscule quelques sacro-saints personnages historiques, San Martin en prend pour son grade, et cette désacralisation des gloires nationales est plutôt salutaire quand certains essayent de créer une religion bolivarienne assez farfelue.

Denzil_Romero

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  • Comptes-rendus de lectures (en français) sur des auteurs et livres d'Amérique du Sud non traduits en français. Blog créé et géré par un auteur péruvien (J. Cuba-Luque), un français (A. Barral) et une traductrice (L. Holvoet). Trapiche : moulin à canne
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