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LES LETTRES DE MON TRAPICHE
23 janvier 2020

« Estokolmo », de Gustavo Escanlar. (par Antonio Borrell)

22012991

 

Editorial Criatura, Montevideo, 2014, 100 pages

ISBN : 978-9974-8452-1-3

 

Ecrivain, journaliste polémique et personnage controversé, Gustavo Escanlar est né à Montevideo en 1962, et mort dans la même ville en 2010. Après des études de médecine, puis de lettres, il s’est consacré dès 1988 à des activités dans la presse écrite et audiovisuelle, notamment à la radio et web-radio, ainsi qu’à la télévision, où sa liberté de parole lui attira parfois des ennuis. (Il s’attaqua à des notables des lettres uruguayennes comme Benedetti et Galeano) Il fut auteur de chroniques, de nouvelles et de romans, publiés en Uruguay, en Argentine et en Espagne. Il se fit remarquer par une nouvelle intitulée « Gritos y susurros » dans l’anthologie Mc Ondo réunissant des textes de jeunes auteurs de tout le continent en réaction contre le règne du réalisme magique. Brûlant sa vie par tous les bouts il était notamment accro à la cocaïne, ce qui lui valut des séjours en hôpital qui défrayèrent la chronique. Des accusations de plagiat lui firent perdre son travail dans plusieurs stations de radio. Dès 1988 il s’investit aussi dans l’organisation d’évènements contreculturels au sortir de années de dictature, il est aussi occasionnellement acteur de cinéma. Il meurt prématurément à 48 ans des suites d’une surdose de drogue. Cette vie a inspiré à l’écrivain chilien Alberto Fuguet un livre intitulé : « Todo no es suficiente. La corta e intensa vida de Gustavo Escanlar »

Bibliographie : Oda al niño prostituto (cuentos, 1993), No es falta de cariño (cuentos, 1997), Estokolmo (novela, 1998), Crónica roja (crónicas, 2001), Dos o tres cosas que sé de Gala (novela, 2006), Disco duro (columnas periodísticas, 2008), y La alemana (novela, 2009). 

 

« Estokolmo », c’est du noir, du très noir, violent, cru, et pourtant pas dénué d’humour, humour noir bien entendu. De l’action, beaucoup de dialogues, du sexe et de la drogue. Le récit est à la première personne, avec beaucoup d’argot et de verlan uruguayen, sans que cela gêne la lecture. C’est plaisant bien que parfois un peu artificiel ou surjoué, l’auteur s’amuse. 

Marcelo, le narrateur est un ancien étudiant issu d’une famille de classe moyenne, qui a basculé dans la délinquance et la drogue : « Lo que pasó fue que, en determinado momento de mi vida clase media, me di cuenta que todo era mentira. Me había pasado horas estudiando, horas en asambleas discutiendo si a la FEUU había que reivindicarla o legalizarla, horas en los boliches hablando de la dictadura del proletariado, de Gramsci y de Foucault. (...) He visto a las mejores mentes de mi generación destruidas por la rutina, por la militancia política, por la vejez prematura, por la seriedad estúpida. Sí, también leí a los beatniks y me la creí.»

Avec Seba et El Chole, ils vivent de trafics et de rapines. Seba est le chef, le plus dur , issu d’une famille plus pauvre, mais il n’a jamais tué personne. Un soir de janvier, c’est l’été, ces trois petits voyous, défoncés à la colle et à la cocaïne, partent en maraude dans une vieille voiture volée et s’attaquent à une fête privée dans le très chic quartier de Carrasco. C’est là que Marcelo, armé d’un pistolet, se retrouve face à un ancien camarade de lycée qu’il détestait, et le coup part. Pour couvrir leur fuite ils prennent en otage un jeune fille parmi les invités. Recherchés par la police, ils vont trouver une planque dans un des vieux quartiers populaires de Montevideo, Barrio Sur et Palermo. C’est là que le titre du livre prend tout son sens, car l’otage, qui demande à ses ravisseurs de l’appeler Demonio, fait cause commune avec eux et promet de les aider à obtenir une bonne rançon de son père : c’est le fameux syndrome de Stockholm.

Dès lors, amoureuse à la fois de Seba et un peu aussi de Marcelo, elle va modifier son apparence pour ne pas être reconnue et participer à leur vie de trafics et de rapines. Marcelo, narrateur principal de l’histoire commence à tomber sérieusement amoureux lui aussi, même si elle préfère Seba, qui n’en a cure. La deuxième voix de cette narration est un journal intime de Demonio dont certains chapitres s’intercalent en italiques. Et puis certaines pages sont des catalogues de personnages du quartier, avec leurs vies plus ou moins sordides. Il est souvent question de « La Alemana », dealeuse, proxénète et amante de Seba, qui reste assez mystérieuse mais dont le nom fait le titre d’un autre roman d’Escanlar. Et bien sûr, tout cela finira mal. « Yo estoy convencido que el lugar donde nacés te determina para siempre. Que hay lugares que te condenan. Si nacés en Uruguay ya estás cagado. Y si nacés en el barrio es mucho peor, nunca vas a levantarte. Nacés acostado. »

Cette plongée dans l’Uruguay des années 90, n’est pas sans rappeler d’autres ouvrages déjà lus par le Trapiche, qui évoquaient déjà cette « génération perdue » de la sortie de la dictature, en rupture politique et culturelle avec ses aînés très politisés de la vieille gauche orthodoxe. Une génération entre « beatnik » et « no future » que l’on retrouve dans l’excellent « Arena » de Lalo Barrubia, ou bien dans « Adiós Diomedes » de Leandro Delgado, ou dans des textes de jeunesse de Daniel Mella.

Il ne reste plus qu’à lire « La Alemana » au plus vite.

Z escanlar

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  • Comptes-rendus de lectures (en français) sur des auteurs et livres d'Amérique du Sud non traduits en français. Blog créé et géré par un auteur péruvien (J. Cuba-Luque), un français (A. Barral) et une traductrice (L. Holvoet). Trapiche : moulin à canne
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