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LES LETTRES DE MON TRAPICHE
19 mai 2020

« Rio Fugitivo » d’Edmundo Paz Soldán. (par Antonio Borrell)

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Editorial Libros del Asteroide, Barcelone, 2008, 340 pages.

ISBN : 978-84-935914-7-2

Edmundo Paz Soldán est né à Cochabamba, en Bolivie, en 1967. Il a fait ses études secondaires au collège « Don Bosco » de cette ville, puis il quitte la Bolivie pour l’Argentine, où il étudie les relations internationales, et les USA où il fait un doctorat en lettres hispaniques. Il réside dans ce pays où il enseigne en université. Il signe des chroniques dans divers journaux en Espagne, au Chili, aux USA… Son activité littéraire commence dès son adolescence à Cochabamba. Son premier roman « Dias de papel » est publié en 1992. Avec le chilien Alberto Fuguet, Paz Soldàn est une des figures de la génération « McOndo » qui dans la littérature latino-américaine veut prendre le contrepied des ses aînés du « boom » des années 60-70, s’éloigner du réalisme magique pour laisser plus de place à la culture contemporaine. Il reçoit le prix du roman en Bolivie, puis le prix Juan Rulfo en 1997. Certains de ses textes sont adaptés au cinéma, et dans les années 2010 il s’oriente vers la science-fiction. Un seul de ses livres, « Norte » a été traduit en français, par Robert Amutio, rien moins que le traducteur de Roberto Bolaño, et publié chez Gallimard en 2014. Il a aussi coordonné un ouvrage consacré à Roberto Bolaño, aux éditions Candaya, en 2014.

Bibliographie partielle (romans) : Días de papel (1992), Alrededor de la torre (1997), Río Fugitivo (1998), Sueños digitales (2000), La materia del deseo (2001), El delirio de Turing (2003), Palacio Quemado (2006), Los vivos y los muertos (2009), Norte (2011), Iris (2014)…

 

LES DESARROIS DE L’ELEVE ROBY.

Voilà un « roman d’apprentissage » de 350 pages qui se dévore avec grand plaisir et dont on ne sent pas le poids, tant la narration est vive et prenante ! Autant le dire tout de suite, on m’avait souvent parlé de cet auteur et je souhaitais lire ce livre depuis longtemps et c’est une révélation. Il est vrai que cet auteur s’est déjà taillé une sérieuse réputation, sans avoir besoin du Trapiche, et qu’il est déjà reconnu comme un des grands de sa génération en Amérique Latine. 

Un groupe d’adolescents commence la dernière année de lycée dans un établissement privé catholique et non-mixte de Cochabamba, ville bolivienne andine, à peu près à mi-chemin de La Paz et de Santa Cruz, ces deux villes symbolisant l’antagonisme historique entre Bolivie des hauts plateaux et Bolivie des basses terres. Le lycée est nommément cité comme le « Don Bosco », la ville de Cochabamba est décrite avec précision, les itinéraires, les noms de rue (j’ai vérifié sur internet), et de nombreux détails donnent une impression de réalité, et certains traits communs entre le narrateur et l’auteur (c’est un adolescent qui aspire à devenir écrivain) renforcent cette impression. (Jusqu'à un certain point, bien entendu)

Roby et ses camarades de promotion font partie de la moyenne bourgeoisie, et rêvent de partir étudier à l’étranger, tant l’avenir semble invivable dans leur pays. Dans la première moitié des années 80, la Bolivie est dans un intermède démocratique entre deux dictatures, mais la crise économique est telle que la monnaie nationale ne vaut plus rien et l’inflation galopante met en danger même les fils de la classe moyenne dans une société encore très conservatrice, hypocrite et raciste. 

Roby est l’enfant du milieu entre sa soeur ainée Silvia, issue d’un premier mariage de la mère, et Alfredo, le plus jeune, qu’il sent s’éloigner de lui. Et tandis que le pays s’enfonce dans la crise, la famille se défait. Le père, ancien militant d’extrême gauche, devenu un architecte ruiné, ne rêve plus que d’un retour des militaires au pouvoir. La mère, publicitaire, devient celle dont le salaire permet la survie, et tyrannise ses successives bonnes indiennes venues de villages de l’altiplano, dont Eulalia, la dernière en date. Il y a aussi un grand-père vétéran de la guerre du Chaco contre le Paraguay dans les années 30. Silvia cherche en vain à gagner l’amour de son père adoptif et rêve de partir à l’étranger avec Jean-Pierre son fiancé franco-bolivien. Alfredo fait les quatre-cents coups et fréquente des amis peu recommandables.

 A l’âge des découvertes, des flirts, des drogues, des prostituées, des beuveries, Roby partage cette vie avec ses amis, tout en vivant une vie imaginaire parallèle dans la ville inventée de « Rio Fugitivo », qu’il peuple des personnages de ses écrits, plagiés sur ses lectures de romans policiers. S’il fait lire ses oeuvres de débutants à certains proches, il est aussi l’auteur d’une gazette satyrique non-officielle du lycée. Cela lui vaut d’être l’objet de tentatives de manipulation par certains des « frères » directeurs du lycée en conflit entre eux.

La mort soudaine du jeune Alfredo par overdose de médicaments va obliger Roby à devenir lui-même détective, car il soupçonne que le dealer est un de ses camarades du lycée. Mais, de fausse piste en fausse piste, la réponse (comment s'y fier ?) ne surgira que bien des années plus tard.

Ce livre a aussi retenu mon attention pour des raisons plus personnelles, car j’ai aussi été lycéen dans un ville des Andes presque à cette époque, dans la deuxième moitié des années 70, entre dictature et retour à la démocratie, et rêvant de devenir un jour écrivain, quelques éléments facilitant l’identification, même s’il y a aussi des différences. Certains aspects de l’arrière-plan culturel permettent à chacun de se situer dans ce qu’était sa propre vie au moment des faits racontés ici : le film Blade Runner, la musique de Queen, Cindy Lauper, Boy George, Police, Men at work…  Tout cela parlera à ceux qui sont nés dans les années 60.

Voilà donc un beau roman, profond, émouvant, et parfois plus « trash », une réflexion sur l’adolescence, sur la vie comme un fleuve que rien n’arrête, marqué par une phrase qui  revient plusieurs fois : « Somos un fui que no será mañana »

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  • Comptes-rendus de lectures (en français) sur des auteurs et livres d'Amérique du Sud non traduits en français. Blog créé et géré par un auteur péruvien (J. Cuba-Luque), un français (A. Barral) et une traductrice (L. Holvoet). Trapiche : moulin à canne
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