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LES LETTRES DE MON TRAPICHE
12 avril 2021

“Los dìas y los muertos”, de Giovanni Rodriguez. (par Antonio Borrell)

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 Editions Mimalapalabra, San Pedro Sula, Honduras, 2016, 200 pages.

ISBN : 9789992689356 

 

Giovanni Rodriguez est né à San Luis dans l’ouest du Honduras en 1980. Il vit à San Pedro Sula, seconde ville du pays. Il est aujourd’hui professeur de littérature à l’Université Nationale Autonome du Honduras. En tant qu’auteur il est très engagé dans la dénonciation du conservatisme et de la corruption dans ce pays. En 2005 et 2007 il publie deux recueils de poésie, il est primé en 2005 au Guatemala et en 2008 en Espagne. En 2009, «Ficción hereje para lectores castos» est son premier roman, réédité plusieurs fois jusqu’en 2017. En 2012 il publie l’essai «Café & Literatura», en 2016 le roman «Los días y los muertos » et en 2017 un autre roman, « Tercera persona ». En 2015 il a reçu le « Premio Centroamericano y del Caribe de Novela “Roberto Castillo”. Giovanni Rodriguez participe aussi à l’activité d’un réseau de petites maisons d’éditions locales dans plusieurs petits pays d’Amérique Centrale. 

 

“Les jours et les morts”, c’est déjà un titre qui donne le ton : du noir très noir, dans le contexte de l’Amérique Centrale du début du vingt-et-unième siècle, en proie aux violences des cartels de la drogue, aux migrations des miséreux, à la délinquance, aux trafics et à la corruption jusqu’aux plus hauts niveaux des états, à l’impunité généralisée et à l’emprise des sectes évangéliques, entre autres calamités. 

López est un journaliste de San Pedro Sula, une des principales villes du Honduras, solitaire, divorcé, blasé, qui travaille au service des faits divers, ce qui le confronte quotidiennement à la mort violente, et au travail assez peu efficace de la police. Il entretient une relation épisodique avec une prostituée qui lui écrit régulièrement des SMS. Lassé de ce métier, épris de littérature, il hésite pourtant à quitter son poste et les maigres avantages que lui confère son ancienneté dans le journal. Le texte est entrecoupé de notes journalistiques sur deux colonnes, corrections apparentes, comme si on lisait par-dessus l’épaule du journaliste sur son écran.

Un jour pourtant, c’est un meurtre atypique qui va retenir son attention : « no simples pandilleros de los que a diario aparecían descuartizados y metidos en costales en solares baldíos, en tiraderos de basura o en las cañeras o con las manos y los pies atados, con signos de tortura y un disparo exacto en la frente o en la boca  (…) no mujeres con expediente abierto en la Policía por tráfico de drogas o extorsión, con tatuajes en el pecho y la espalda y con disparos en la nuca ». Un jeune étudiant, un intellectuel avec des prétentions littéraires, a tué d’un coup de poignard un de ses meilleurs amis, car sa compagne l’avait quitté pour ce dernier.

Guillermo Rodríguez Estrada, le meurtrier, s’étant laissé arrêter sans résistance, López va l’interviewer en prison, mais l’affaire tourne court quand au bout de quelques mois il est remis en liberté pour vice de forme. Deux ans plus tard il commence à se faire connaître comme écrivain en publiant son « autobiographie criminelle », livre dans lequel il relate les circonstances qui l’ont amené à tuer son ami. (Il y a donc un livre dans le livre, et nous suivons López dans sa lecture). Mais au lendemain d’une présentation publique du livre à laquelle assiste le journaliste, le jeune auteur est retrouvé pendu, et l’affaire classée comme un suicide.

À ce point, le lecteur commence à se demander si le crime passionnel ne cachait pas autre chose, et comment son auteur a pu si facilement échapper au procès.

Les choses se compliquent pour López quand il a la mauvaise idée d’écrire dans un article ses doutes sur la mort d’une prostituée inconnue dont le corps est retrouvé dans un hôtel. La police n’apprécie pas la critique, et des inconnus se mettent à le menacer au téléphone, et il commence à se poser des questions sur la prostituée qu’il voit régulièrement, et des liens de parenté qu’elle pourrait avoir… Pris dans une fusillade dans la rue, et blessé au pied, il ne peut même pas savoir s’il était personnellement visé, tant ce genre d’événement est fréquent dans la ville.

Les jours passent, l’étau se resserre, des cadavres aux têtes coupées sont retrouvées dans les rues, López démissionne du journal et vit dans la terreur. Fin de la première partie, en plein suspense !

La seconde partie nous renvoie en arrière avec une plongée dans le journal intime tenu par Guillermo Rodríguez, peu après sa sortie de prison et son retour en famille. Le journal débouche sur une longue confession qui reconstitue les événements ayant précédé l’assassinat de son ami, puis l’écriture de son roman. L’écheveau de la réalité et de la fiction devient difficile à démêler, mais on croise à nouveau des sœurs prostituées qui relient étrangement l’histoire de Rodríguez à celle de López. 

Au début de la troisième partie, on retrouve le journaliste, qui a fui la ville. Je n’en dirai pas plus ici sur le dénouement de l’affaire, qui laisse un peu perplexe.

Au-delà du récit policier, ce livre fait aussi place à des réflexions sur l’écriture et à quelques références à des auteurs chers à Giovanni Rodriguez, qui sont plusieurs fois cités, comme Vargas-Llosa, Ernesto Sábato, Roberto Bolano, Truman Capote…

On a rarement l’occasion de lire un roman aussi noir (et assez angoissant) signé par un auteur qui vit au quotidien dans la société en décomposition qu’il décrit, même en étant un jeune professeur de littérature à l’Université, on ne peut rester en dehors de cette réalité. C’est une des forces de ce livre qui a obtenu le Prix Roberto Castillo du roman d'Amérique Centrale et des Caraïbes.

dt

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  • Comptes-rendus de lectures (en français) sur des auteurs et livres d'Amérique du Sud non traduits en français. Blog créé et géré par un auteur péruvien (J. Cuba-Luque), un français (A. Barral) et une traductrice (L. Holvoet). Trapiche : moulin à canne
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