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LES LETTRES DE MON TRAPICHE
23 septembre 2022

« La ùltima frontera », de Luis Do Santos (par Antonio Borrell)

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 Editorial Fin de Siglo, Montevideo, 2020, 150 pages.

ISBN : 978-9974-909-26-7

  

Luis Do Santos est né en 1967 dans un village au milieu des champs de canne à sucre au bord du fleuve Uruguay dans le département d’Artigas, à l’extrême nord-ouest du pays, loin de Montevideo. Cette région qui s’enfonce comme un coin entre le nord de l’Argentine et le sud du Brésil est la plus tropicale et la plus déshéritée de l’Uruguay, très différente des rivages du Rio de La Plata. Il vit depuis de longues années à Salto, autre ville sur le fleuve, un peu plus en aval. Luis Do Santos est déjà l’auteur d’un recueil, « Tras la niebla » et d’un roman, « La ùltima frontera » publié à Salto en 2008, et a contribué à diverses anthologies. (Encore inédit, « El zambullidor » avait été remarqué lors d’un concours en 2014). Il est aussi auteur de chansons et de textes pour les « murgas », ces groupes satiriques typiques du carnaval uruguayen. « El zambullidor » a connu un grand succés, avec plusieurs rééditions en Uruguay, une traduction en français « L’enfant du fleuve » (Editions Yovana, Montpellier), une autre en brésilien « O mergulhador » (Editions Diadorim, Porto Alegre), et une en Espagne en 2021 « El zambullidor » (Editorial Tiempo de papel, Valencia). En 2020, une nouvelle version de « La ùltima frontera » est publiée à Montevideo par Fin de Siglo.

 

 

Si Luis Do Santos revendique une grande admiration pour Gabriel Garcìa Marquez et le réalisme magique, ce livre en est l’expression, un hommage sensible, qui vient de la région peut-être la plus tropicale d’Uruguay, et de ce fait la plus semblable au nord de la Colombie par ses conditions naturelles et humaines, le fleuve Uruguay à la place du Magdalena, le littoral caraïbe en moins. Il y a aussi quelques différences culturelles, comme l’usage du patois « portugnol » dans cette région frontalière avec le Brésil.

Mais si on veut pousser le parallélisme un peu plus loin, le Macondo marquézien aurait pour homologue dans le livre de Do Santos, le petit village d’Abaité : un hameau surgit du néant dans une région presque inhabité, quelque part aux confins de trois pays, Uruguay, Argentine et Brésil, à l’occasion de la construction d’une voie ferrée et des migrations de déshérités à la recherche d’une vie peut-être meilleure. C’est là qu’un jeune brésilien, Pedro Serpa, venu travailler sur le chantier ferroviaire dans les marécages va devenir célèbre en tuant un « loup-garou » (lobisòn) et recevoir une récompense d’un propriétaire terrien de la région, Getulio Lima, dont il épousera plus tard la fille unique, Rosalìa Marìa. La famille et la descendance de Pedro Serpa seront le principal fil conducteur du roman, au long de l’histoire du village. 

Le livre se compose d’une quinzaine de chapitres, chacun centré sur une figure importante d’Abaité, mais on y retrouve chaque fois des personnages qui seront à leur tour centraux dans d’autres chapitres, car leurs destins sont liés par des parentés, des amitiés, des conflits, des projets communs. On croise donc un propriétaire de bar, un curé, un commissaire, un photographe ambulant au triste destin, un homme qui se donna pour mission de doter son village d’un cimetière digne de ce nom, contre l’avis du curé, des histoires de contrebande et de prostitution, de politique et de corruption. Drames et anecdotes croustillantes se mêlent aux superstitions et légendes, comme celle qui veut que le septième garçon d’une fratrie soit condamné à devenir un « loup-garou ».

Sans énumérer tous ces personnages : il y a Didì Farrapos le légendaire fondateur d’Abaité, qui serait venu du Brésil au siècle précédent, ou Rosimel Muape le contrebandier d’alcool de canne. Normita Rojas première institutrice nommée dans ce village, accablée d’un mari infirme qui finira par mourir, la laissant veuve et acariâtre, Florisbela Ferreira, l’amour de jeunesse de Pedro Serpa qui viendra vivre avec lui et ses enfants après la séparation de Rosalìa Marìa. Il y a les frères Ardohain, musiciens d’origine basque et argentine. Il y a Cotita Serpa, la petite fille devenue « sainte » de son vivant, après être revenue deux fois de la mort, et dont le fantôme hantera la rivière après qu’elle y ait disparu. Et tant d’autres…

Les derniers chapitres évoluent vers un peu plus de réalisme social en évoquant le développement d’une coopérative agricole de production de canne à sucre, sous la houlette de l’agronome Marco Quintana, et un projet de grand barrage qui menacera d’engloutir le village.

Dans ce roman on retrouve le style propre à Luis Do Santos, une forme de poésie brute qui renvoie aux forces et aux beautés de la nature, à coup d’images souvent surprenantes, on est dans l’univers de « El Zambullidor » (L’enfant du fleuve), avec la différence que celui-là était très implicite sur la situation géographique et historique du village, alors que « La ùltima frontera » est plus clairement situé dans l’espace et dans une certaine profondeur historique. Pour le lecteur français ce sont deux livres très complémentaires, mais il faudra un traducteur chevronné pour s’attaquer au second. 

 

CULTURA-

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  • Comptes-rendus de lectures (en français) sur des auteurs et livres d'Amérique du Sud non traduits en français. Blog créé et géré par un auteur péruvien (J. Cuba-Luque), un français (A. Barral) et une traductrice (L. Holvoet). Trapiche : moulin à canne
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