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LES LETTRES DE MON TRAPICHE
12 octobre 2019

« A bala, sable, o desgracia », de Marcia Collazo. (par Antonio Borrell)

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Ediciones de la Banda Oriental, Montevideo, 2014, 220 p.

ISBN : 978-9974-1-0874-5

Marcia Collazo est née à Melo, capitale du département de Cerro Largo dans le nord-est de l’Uruguay, dans une famille d’intellectuels, de poètes et d’artistes. Elle a fait des études en droit, sciences sociales et histoire. Elle enseigne l’Histoire des Idées en Amérique à l’Institut Artigas qui forme les enseignants uruguayens. Elle a publié des travaux académiques et collabore à divers organes de presse. Elle a reçu plusieurs prix importants en Uruguay. Sa production littéraire est très marquée par sa passion pour l’histoire. Après deux recueils de poésie, son premier roman, publié en 2011, est « Amores cimarrones », centré sur les femmes de la vie d’Artigas, considéré comme le fondateur de l’Uruguay. En 2012, encore un roman historique, « La tierra alucinada », en 2014 « A bala, sable o desgracia » réunit des textes courts, 2015, « Seguirte el vuelo » est un volume d’essais, en 2016 le roman « Te acordaràs de mi » et en 2019, encore un long roman, « Heroica » inspiré de la vie et du rôle des femmes lors du terrible siège de la ville de Paysandù en 1864-1865. Outre leur inspiration historique, les oeuvres de Marcia Collazo se caractérisent par l’importance accordée aux points de vue féminins. Un de ses textes devrait être publié en français en 2020 dans une anthologie bilingue. 

 

« A bala, sable o desgracia » pourrait se traduire ainsi : « Par balle, par le sabre, ou par malheur », et le sous titre « historias de mala muerte », « histoires de malemort » est assez éloquent. Il s’agit de neufs récits évoquant la mort de grandes figures de l’histoire de l’Uruguay au dix-neuvième siècle. Mais ces morts n’occupent pas le premier rôle: Marcia Collazo déplace systématiquement le point de vue vers des personnages beaucoup plus modestes, souvent des femmes, des témoins oubliés, des second rôles, des anonymes qui se souviennent, longtemps après. Par ce procédé elle rapproche l’histoire de la vie, du quotidien, et donne une grande importance à la mémoire des lieux et des objets. Plutôt qu’une épopée de gloires et de bannières, c’est une réalité de sueur, de sang, d’odeurs, d’angoisses et d’agonie qui nous est présentée. On peut avoir été un grand personnage et crever dans un village perdu de l’intérieur de l’Uruguay pour finir « embaumé » dans un cercueil de tôle rempli de rhum. Ou bien être au sommet du pouvoir et être bêtement foudroyé par un avc. 

L’histoire de l’Amérique latine est fascinante, celle du cône sud fraichement indépendant est pleine de convulsions, et de nombreux écrivains en ont fait la matière de leurs livres, comme Ernesto Sabato dans « Sobre héroes y tumbas », pour n’en citer qu’un. Marcia Collazo se situe dans ce registre, avec un regard original et une écriture classique, une richesse de détails qui rendent le récit vivant et souvent poétique. 

Le premier des récits « Trainganme mi caballo » raconte le séjour au Paraguay d’une mission diplomatique uruguayenne venue chercher les restes d’Artigas mort en exil. Au cours de conversations, en partageant un maté, l’un des membres de la mission s’entretient avec une servante et avec d’autres personnes ayant partagé cet exil et vécu les derniers moments du héros, mort à 86 ans après 30 ans passés au Paraguay où il avait reçu l’asile. Dans le texte suivant, « El fantasma de la carabina », c’est Juan Antonio Lavalleja, autre héros national, qui meurt subitement à Montevideo. Ce décès suscite des soupçons et la décision politique de pratiquer une autopsie dans la maison du mort, à l’émotion générale, alors que le fantôme de Lavalleja assiste impuissant à cette agitation sans que personne ne puisse le voir, à part  Ernestina, une jeune servante noire. Ensuite c’est El Gorriòn (le moineau) qui, arrivé à un âge très avancé et sentant sa fin prochaine raconte comment dans son enfance il échappa au massacre d’indiens de « Salsipuedes » considéré comme le dernier acte du génocide en Uruguay, comment dans le courant de sa vie il tua trois hommes qui y avaient participé… Neuf textes pour les passionnés d’histoire ! 

Extrait : « Al fantasma no lo vio ninguno, sacando a Ernestina que se calló la boca, tanto que no se enteró nadie, ni entonces ni después, y al final a la sala la fue vaciando el tiempo. Primero salieron los muebles y después la vajilla, las menudencias íntimas, abanicos y tazas para recién casados –ésas que vienen solamente de a dos, y que pueden observarse todavía, con su color que habrá sido escarlata y ahora es borra de vino, a través del cristal de una vitrina-, mantillas y relojes, guantes descoloridos que nadie puede imaginar llenos de dedos vivos, y todas esas cosas por donde suelen merodear las memorias, ésas que no se ven pero que están: las pasiones, los odios previsibles, algún remordimiento enredado en un peine, en un devocionario, en un retrato antiguo –cosas que no hablarán ya para nadie-. »

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  • Comptes-rendus de lectures (en français) sur des auteurs et livres d'Amérique du Sud non traduits en français. Blog créé et géré par un auteur péruvien (J. Cuba-Luque), un français (A. Barral) et une traductrice (L. Holvoet). Trapiche : moulin à canne
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