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LES LETTRES DE MON TRAPICHE
22 janvier 2022

"El run run de las cosas", de Pablo Silva Olàzabal. (par Antonio Borrell)

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Editorial Estuario, Montevideo, 2020, 220 pages.

ISBN : 978-9974-908-36-9

Pablo Silva Olazábal est un journaliste et critique littéraire et auteur uruguayen né en 1964 à Fray Bentos. Dans les années 70 sous la dictature « civico-militaire » ses parents s’exilent en Europe, et c’est à Madrid qu’il suit une formation d’enseignant. De retour en Uruguay à la fin de la dictature, il fait des études de communication. Il participe aussi à des ateliers d’écriture, dont ceux de Mario Levrero. Il est aujourd’hui animateur d’émissions radiophoniques culturelles et littéraires ainsi qu’organisateurs de rencontres et d’événements publics dans ces mêmes domaines. Personnage affable, érudit, avec un côté très « British », il est un incontournable de la vie littéraire uruguayenne.

Bibliographie : “La revolución postergada y otras infamias” (cuentos) Ediciones de la Balanza (2005) , “Entrar en el juego” (relatos) Yaugurú (2006) , “Conversaciones con Mario Levrero” Trilce (Montevideo, 2008). Luego impreso por Lolita Editores (Chile, 2012) et Conejos (Buenos Aires, 2013) , “La huida inútil de Violeto Parson” (novela) Dixi (2012) ,“Lo más lindo que hay” (cuentos) Ediciones Outsider (2015) , “Pensión de animales” (novela) Estuario (2015) et « El run run de las cosas » en 2020.

Le Trapiche a déjà commenté quelques livres de Pablo Silva, notamment ses « Conversations avec Mario Levrero », mais aussi des recueils de textes très courts. « El run run de las cosas » tient un peu des deux, car il s’agit de conversations avec des écrivains, mais des conversations rêvées, dans un ensemble de textes qui pourraient être de courtes nouvelles, ou des chapitres de roman, voire des essais sur la condition d’écrivain. En s’engageant sur le terrain glissant de la « littérature du rêve », Pablo Silva prend la précaution de prêter sa plume et son projet à un alter ego du nom de Héctor Corvalàn Ramos, avec qui il a aussi en commun de professer une haine de la « littérature du moi », ce qui pourrait être gênant à l’heure de publier des choses aussi intimes que ses rêves notés au cours de nombreuses années. D’où une préface dans laquelle Corvalàn se défend de tomber dans la « littérature du moi », tout en se réclamant d’un discutable « réalisme onirique » qui lui permettrait d’évoquer sa propre vie sans la raconter. Mais dans ce cas, tant de notes pour recontextualiser chaque rêve ne sont elles pas un aveu d’échec ?

« Do writers dream of eclectic writers ? », les écrivains rêvent-ils d’écrivains éclectiques ? (Plusieurs fois dans le livre est rappelée l’incitation de Borges à lire de tout).  Si je me permets ce jeu de mots en clin d’œil à Philip K. Dick, c’est parce que Blade Runner est brièvement évoqué dans ce livre, et que la question de l’authenticité de ces rêves est posée, notamment par Mercedes Rosende (que les lecteurs du Trapiche connaissent, et qui apparait aussi dans un des rêves) dans un entretien visible sur YouTube (lien en dessous de cet article). À quoi Pablo Silva répond par une autre question : cela aurait-il la moindre importance pour le lecteur ? Pour ma part, j’ajouterais même : Quelle est la différence entre un « vrai » rêve et un rêve inventé ? Aucune : on n’a d’autre choix que de croire en la parole du rêveur ! D’ailleurs, toujours dans le même entretien, Pablo Silva rappelle cette définition : « La littérature est un rêve dirigé », citée aussi dans la préface de Corvalàn. Et par corollaire, les rêves seraient un genre littéraire ? 

On ne va pas prendre le risque ici de raconter chaque rêve d’Héctor Corvalàn. Ils peuvent très bien être lus dans le désordre, on peut en sauter quelques-uns. Que chaque lecteur trouve son chemin dans ce labyrinthe, il n’y sera pas à l’abri d’une bonne surprise ou d’un éclat de rire. 

Dans ce livre, c’est un écrivain qui rêve d’écrivains, mais sans prétention, avec un détachement ironique et des situations abracadabrantes qui désamorceraient tout dérapage vers la pédanterie, et par moments une bonne dose d’autodérision : par exemple sur les émotions de l’auteur à la sortie de son premier livre, les relations avec les autres auteurs, les éditeurs, les différences de statut entre les auteurs publiés, les auto-publiés, les pas-publiés-du-tout... Observateur privilégié de la vie littéraire, Pablo Silva n’a aucun besoin de se livrer au « name dropping » pour se faire remarquer. Si telle avait été son intention, il n’aurait pas évoqué un bon nombre d’illustres inconnus (surtout pour le lecteur européen, mais aussi pour un bon nombre d’uruguayens). Alors, on croise Borges, Bolaño, Cercas, García Márquez, ou bien des Uruguayens comme Felisberto Hernàndez, Mario Levrero, Mario Delgado, Rafael Courtoisie, Carlos Rehermann, Martin Bentancor, Mercedes Rosende (dont les fidèles du Trapiche sont familiers, à supposer qu’il existe des fidèles du Trapiche), mais la liste des absents, et pas des moindres, est forcément beaucoup plus longue. Ce n’est pas un livre « tout public », car il risque d’être difficile à comprendre pour le lecteur non-uruguayen, mais il pourrait bientôt devenir une référence obligatoire pour les enseignants et les chercheurs, bien que ce ne soit pas son intention initiale.  

Les hasards de la vie ont fait que je suis devenu, sans l’avoir prémédité, un « observateur-participant » de la vie littéraire uruguayenne actuelle. (Pour autant, je ne suis pas certain d’avoir tout compris). Je connais personnellement un grand nombre des auteurs mentionnés dans ce livre, d’autres moins bien, mais je les suis parfois sur les réseaux sociaux. Pour comble, je dois au critique Pablo Silva Olàzabal un de mes plus grands bonheurs d’auteur, ce qui me place dans une situation ambigüe vis-à-vis de son livre : j’avoue que je fais partie de ceux qui ont rêvé de trouver leur nom dans les rêves de Corvalàn et qui ont été déçus. L’égo démesuré des auteurs, on sait ce que c’est. 

https://www.youtube.com/watch?v=Y5KqYltqCSA 

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  • Comptes-rendus de lectures (en français) sur des auteurs et livres d'Amérique du Sud non traduits en français. Blog créé et géré par un auteur péruvien (J. Cuba-Luque), un français (A. Barral) et une traductrice (L. Holvoet). Trapiche : moulin à canne
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