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LES LETTRES DE MON TRAPICHE
22 octobre 2022

« Revoluciòn en sepia », de Valentìn Trujillo. (par Antonio Borrell)

Revolucion

 

Random House, Montevideo, 2019, 280 pages

ISBN : 978-9974-899-52-0

Né à Maldonado, dans le sud-est de l’Uruguay en 1979, est professeur de littérature après avoir exercé plusieurs autres métiers et fait des études de cinéma et de journalisme. Il a collaboré à diverses revues et journaux, dont « El Observador ». En 2007, il obtient un prix national pour un recueil de nouvelles intitulé «Jaula de costillas» , en 2013 c’est un autre recueil de nouvelles «Entre jìbaros» , en 2016 il participe à l’anthologie «13 que cuentan» auprès d’autres auteurs uruguayens de sa génération, puis en 2017 il obtient pour son roman «Còmanse la ropa !» le prix Onetti décerné par la Ville de Montevideo, prix accompagné d’une publication du livre, qui sera réédité en 2020 en Bolivie par les éditions « El Cuervo ».  En 2019 son roman «Revoluciòn en sepia» (éditions Random House) est lancé à l’occasion de la Foire internationale du livre de Montevideo. En 2020 il devient directeur de la Bibliothèque Nationale d’Uruguay.

 

 

Dans les années 1960 un quatuor pop, véritables clones des Beatles, se fit connaître en Uruguay sous ce nom : « Los Shakers ». Valentìn Trujillo s’en est souvenu en imaginant « Los Shepards », et en organisant une ingénieuse mise en scène lors de la présentation de son roman pendant la « Feria del libro » de Montevideo en octobre 2019, où il fit écouter au public un enregistrement d’époque sur un vinyle sorti d’une pochette d’album 33 tours aux couleurs de son groupe imaginaire. On s’y serait laissé prendre !

Après un roman historique réussi, « Còmanse la ropa » (2017), récemment commenté par le Trapiche, l’auteur change radicalement de genre et d’ambiance, pour nous plonger dans l’Uruguay de la seconde moitié des années 1960, pays en crise où un mouvement de guérilla d’extrême-gauche procédait à des enlèvements pour financer sa révolution avec les rançons. Le mouvement n’est jamais nommé dans le livre, mais quiconque connaît un peu l’histoire du pays reconnaîtra les fameux « Tupamaros ». 

Le principal personnage du roman est Mariano, jeune guitariste et compositeur qui rêve d’une grande carrière dans la pop. Fils mal aimé d’un ministre, sa mère étant morte à sa naissance, il est plus proche de Mabel, la vieille gouvernante de la famille. Alors qu’il s’entraine pour un premier concert avec son groupe, les relations se tendent avec le batteur, son cousin, sur fond de rivalité, tandis qu’un jeune musicien, Alberto, est intégré provisoirement à la formation, en vue du concert. Mais Alberto est en fait infiltré par un groupe révolutionnaire qui prévoit l’enlèvement de Mariano juste après l’évènement afin d’extorquer de l’argent à son ministre de père !

Le concert connait un grand succès, mais un court-circuit oblige à évacuer le local, les plans sont bouleversés. La conscience politique d’Alberto est fragile et son admiration pour Mariano le pousse à lui avouer la conspiration. C’est alors que celui-ci reprend l’idée et décide d’organiser un faux enlèvement pour obtenir de son père l’argent nécessaire à l’enregistrement d’un premier disque à Buenos Aires. Il est difficile à ce point de ne pas trop en dire, pour préserver le suspense, aussi dois-je sauter quelques péripéties que je laisse au lecteur le soin de découvrir !

À Buenos Aires le quatuor recomposé avec un batteur argentin, après une période de « galère », tombe dans les mains de Topacio, un producteur peu scrupuleux qui va les conduire à une gloire inespérée, dans la « swinging Buenos Aires » des années 60 : les concerts s’enchainent, les groupies se déchainent, le champagne coule à flot, et Ramirez, le garde du corps est chargé de fournir aux idoles toutes les filles et les drogues qu’il leur faut. C’est aussi pour l’auteur l’occasion de s’amuser des clichés qui circulent entre les deux rives du Rio de la Plata, au sujet de leurs habitants respectifs.

Une tournée en Bolivie et au Paraguay va raviver les questions politiques (on est peu après la mort du Che), surtout chez Alberto qui voudrait faire évoluer leur musique vers une fusion avec les musiques populaires latino-américaines. Topacio organise alors une tournée en Uruguay, retour triomphal au pays natal pour le groupe, entre Punta del Este sur un yacht et Montevideo dans un studio de télévision. Si le lecteur se doute bien que Mariano et Alberto devront un jour payer pour leur mensonge, le faux enlèvement qui leur a permis de se lancer, le suspense est bien tenu, et les évènements prévisibles arrivent quand on s’y attend le moins ! Séquestré par les révolutionnaires, Mariano ignore ce qu’est devenu Alberto. Tandis que sa détention provoque des troubles violents à l’extérieur, il va évoluer et se remettre profondément en question.

Ce roman manie habilement des éléments de polar à suspense ou de thriller tout en donnant à réfléchir sur les erreurs de la gauche latino-américaine des années 60-70, et plus largement sur la Révolte et la Révolution, le recours à la violence, la manipulation de la jeunesse par les états, les mouvements politiques ou par le marché de l’industrie musicale, sur la place de la pop et du rock en Amérique latine (souvent rejetés tant par la gauche que par la droite), et le fait de chanter en anglais ou en espagnol… Et de fréquentes allusions à la chanson des Beatles, « Revolution ».

Sa liberté retrouvée Mariano, hirsute et traumatisé va vivre drame sur drame, rencontrer une forme de sagesse en la personne de Willie Willie, un joueur de tambour de candombé afro-uruguayen, puis partir à la recherche d’une rédemption au sein d’une communauté hippie dans un coin désert de la côte de Rocha, à l’est du pays... À ce point, « Revoluciòn en sepia » entre résonnance avec d’autres romans déjà évoqués par le Trapiche, bien que situés à d’autres époques (après la dictature des années 70), comme « Adios Diòmedes » de Leandro Delgado, ou bien « Arena », de Lalo Barrubia. Après les hippies, il vivra parmi les paysans et pêcheurs de requins de la côte déshéritée battue par l’Atlantique sud, où commencer peut-être une nouvelle vie. Jusqu’au coup de théâtre final…

revol trujillo

 

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