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LES LETTRES DE MON TRAPICHE
8 juillet 2023

« La memoria obstinada de Puerto Vìrgenes », de Claudio Invernizzi. (par Antonio Borrell)

MEMORIA-OBSTINADA-tapa-web

 

Estuario Edirora, Montevideo, 2019, 300 pages.

ISBN : 978-9915-661-21-6

 

Claudio Invernizzi est né en 1957 à Piriàpolis (Uruguay), station balnéaire entre Montevideo et Punta del Este, près de l’embouchure du Rio de La Plata. Militant de gauche, très jeune il a connu la répression et la prison sous la dictature (1973-1985). Par la suite il s’est consacré à diverses activités : journalisme, enseignement, publicité. En 1985 il publie « Esta empecinada flor », qui recueille des témoignages de prisonniers politiques, puis le roman « La pulseada » en 1989, qui obtient le prix « Bartolomé Hidalgo ». Il écrit aussi des nouvelles, et revient au roman en 2019 avec « La memoria obstinada de Puerto Vìrgenes », qui gagne une nouvelle fois le prix « Bartolomé Hidalgo » et forme le premier volet d’une trilogie dont les tomes suivants seront « El pasado es un montón de cosas inconclusas » (2021) et «Algo tan luminoso como una derrota» (2023).

  

« La memoria obstinada de Puerto Vìrgenes » est un roman difficile à classer, même s’il a certains caractères d’un roman d’espionnage, ou noir, ou policier, centré sur une enquête et un meurtre commis soixante ans avant l’époque du récit. C’est ainsi que l’on va et vient entre les années 1950 et 2010. Il s’agit aussi d’une réflexion sur le poids du passé, les engagements politiques et les désillusions. (Les titres des trois parties de la trilogie sont assez explicites). Le cadre principal en est la station balnéaire de Puerto Vìrgenes, qui ressemble fort à Piriàpolis, ville natale de l’auteur, située sur la rive du Rio de la Plata, entre Montevideo et l’embouchure du fleuve à Punta del Este.

Sergio Arrantes est un journaliste, natif de Puerto Vìrgenes, qui vient s’y réfugier après une déconvenue professionnelle. Ayant mis au jour une affaire de blanchiment d’argent de la drogue, il a été manipulé par sa rédactrice en chef qui, ayant des raisons occultes pour étouffer l’affaire, lui a offert un poste plus élevé, avant qu’il comprenne qu’il se faisait involontairement acheter. En rupture avec son travail, Sergio retourne au village natal et va chercher d’autres moyens de faire éclater le scandale avec l’aide d’amis journalistes de Montevideo et Londres. Il y retrouve le policier Elso qui arrondit ses fins de mois grâce à un haut-parleur monté sur sa moto pour diffuser des annonces publicitaires. C’est alors qu’il apprend l’arrivée au village d’Amanda Beck, une Anglaise, petite-fille de William Beck, assassiné dans les rochers au bord de l’eau en 1950, et dont le meurtrier n’a jamais été identifié.

On apprend que William Beck était un agent britannique, et peut-être aussi un agent double au service des soviétiques, dont la couverture était un projet de livre sur les chemins de fers construits en Uruguay par des capitaux britanniques, et cédés à ce pays au titre de la dette accumulée pendant la seconde guerre mondiale. Chose étrange, sitôt le corps découvert, quelques agents de l’ambassade de Grande Bretagne se sont chargés de le rapatrier pour le faire enterrer discrètement, embarquant au passage, sans trop lui demander son avis, la jeune compagne enceinte de Beck, la grand-mère d’Amanda. Les soupçons s’épaississent quand on découvre que cette jeune femme était la fille d’un Brésilien nommé Rocha, considéré comme agent du parti communiste de son pays. À cela s’ajoute la présence de réfugiés nazis et de leurs sympathisants à cette époque dans la région. Les éléments d’une intrigue à la Graham Greene ou John Le Carré sont réunis, mais le déroulement de l’enquête va être moins intense qu’attendu, malgré les réminiscences de la guerre civile espagnole, de la guerre mondiale, et des dictatures militaires des années 70.

Sergio, Amanda et Elso, avec d’autres acolytes, vont partir à la rencontre de quelques témoins survivants de cette époque lointaine, à présent tous centenaires ou nonagénaires. Ce sera, tour à tour, l’ancien commissaire Pedro Zabala, qui vit sa retraite dans un dénuement volontaire, donnant la moitié de sa pension à la cantine de l’école, Jacob Stein, dont la famille fut victime du génocide des Juifs d’Europe de l’Est et son ami José Lister, vieux militant de gauche. Et puis Dona Adela, qui vécut un temps avec un voyou de déclarant nazi. Et ainsi de suite jusqu’à Edgard Collins, ex employé de l’ambassade britannique qui ne quitta jamais l’Uruguay, et vit à Puerto Vìrgenes avec sa sœur Peggy. À Montevideo ils continuent leur enquête auprès de l’ambassade et de Francisca Calas, qui fut propriétaire d’un hôtel à Puerto Virgenes. Ils collectent peu à peu des photos, des lettres, des documents qui sont autant de pièces d’un puzzle incomplet. C’est alors que Sergio apprend que son père vient de mourir à Buenos Aires où il était installé depuis des années. Se rendant en Argentine pour les funérailles, il découvre dans les archives que son père était lié à certains des personnages de son enquête… Il ne s’agit pas ici de tout dévoiler, mais il faut reconnaître que l’auteur arrive à conserver le mystère jusqu’aux derniers chapitres, et je n’ai soupçonné l’assassin que quelques pages avant qu’il soit démasqué. 

Au-delà de cette enquête, ce livre m’a permis de découvrir certains faits historiques que j’ignorais. En particulier à travers le personnage de Rocha, le Brésilien, c’est l’histoire de la Colonne Prestes, rébellion politico-militaire qui, dans la deuxième moitié des années 1920, mena une guérilla mobile sur des milliers de kilomètres à travers le sud du pays, avant de se replier en Bolivie, au Paraguay et en Argentine. C’est là que Luis Carlos Prestes se convertirait au marxisme, et après un séjour à Moscou deviendrait le dirigeant du parti communiste brésilien. Je n’ai pu éviter de faire le lien avec l’histoire de la famille Barrett, surtout celle d’Alex, à laquelle j’ai consacré une chronique dans le Trapiche il y a déjà plus d’un an, avec « La vida es tempestad », le remarquable livre de Virginia Martinez. 

" La vida es tempestad ", de Virginia Martinez. (par Antonio Borrell) - LES LETTRES DE MON TRAPICHE

Ediciones de la Banda Oriental, Montevideo, 2017, 250 pages. ISBN : 978-9974-1-1005-2 Virginia Martinez est née à...

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