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LES LETTRES DE MON TRAPICHE
17 août 2016

"Bruna, soroche y los tìos" , d'Alicia Yànez Cossìo (par Antonio Borrell)

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Bruna, soroche y los tìos , d'Alicia Yànez Cossìo (par Antonio Borrell)

 

(Ediciones Paulinas, Bogotà, 1974, 240 pages)

 

Bruna est une des dernières descendantes d'une famille habitant une grande et vieille maison, avec patio et fontaine, dans une ville coloniale des Andes, ville aux églises d'or qui pourrait fort bien être Quito, capitale de l'Equateur. Cette « ville assoupie » est frappée par le soroche, mal des montagnes qui empêche de respirer, et ici dans un sens figuré, un conformisme social et religieux étouffant, qui va parfois jusqu'à la folie...

C'est l'histoire de cette famille qui nous est contée sur le registre du réalisme magique, avec ses secrets, ses reniements, ses mensonges, ses rituels, ses fantômes, à travers plusieurs générations où les femmes tiennent les rôles les plus importants, ce qui permet à Alicia Yànez Cossìo (née en 1928) d'attaquer au vitriol cette société conservatrice d'un point de vue féministe. Dans cette famille où bien des mères meurent en couches et les pères parfois de mort violente, les enfants sont élevés en partie par leurs oncles et tantes porteurs de la mémoire commune, ceci expliquant la dernière partie du titre. (Selon certaines sources l'auteur se serait inspirée d'histoires racontées par sa mère)

Aucune date n'est indiquée, mais certains indices permettent de situer approximativement les évènements dans le temps, sans que cela ait une grande importance.

De chapitre en chapitre, et de génération en génération, nous découvrons les vies de ces femmes, en commençant par Yahuma Illacatu, devenue Marìa Illacatu par sa conversion au catholicisme, fille d'un riche cacique indien, donnée en mariage à un certain Garcia arrivé d'Espagne à l'époque coloniale. Mais cette fondatrice de la lignée en est aussi la honte, celle dont on voudra toujours nier l'ascendance indigène, celle qu'on « blanchit » sur les portraits, celle dont on cherche à diluer le sang impur par les mariages des générations suivantes.

 Les deux fils de Marìa lui seront retirés pour être éduqués en Espagne, puis reviendront au pays pour se marier. L'un d'eux épouse une riche idiote superstitieuse à qui il fera quatorze enfants avant d'être tué dans une rixe lors d'une corrida.

 Chaque génération aura son lot de personnages aux destins plus extravagants les uns que les autres, comme Carmela, fiancée très jeune à un espagnol et qui entreprend pour se marier un voyage si long qu'à son arrivée son vieux promis est déjà mort, la laissant à la fois vierge et veuve. Changeant son prénom en Camelia, plus romantique, elle s'émancipe et reviendra dans sa ville natale pour y être une figure intellectuelle tenant un salon littéraire et politique, entourée de soupirants...

 Il y aura aussi cet « oncle » évêque, père de deux cent quarante cinq fils, « le bataillon de la foi », sans compter les filles, et cette « tìa Catalina » pieuse et dévote jusqu'à la démence, ce « tìo Francisco » collectionneur de boites d'allumettes, et « tìa Clarita » entourée de ses chats angora, sans parler des étranges parents de Bruna, et puis « Mamà Chana » la gouvernante indienne de la maison pendant plusieurs générations, qui finira par obtenir le mariage avec un des oncles... Enfin Bruna sera la première à se révolter contre le conservatisme et les préjugés étouffants de cette société. 

La lecture de ce roman fait souvent ressurgir des souvenirs de « Cent ans de solitude » (paru en 1967) tant son usage du réalisme magique est remarquable : une riche imagination, des images fortes, de l'humour, de la poésie, autant d'ingrédients qui font de ce premier roman une réussite. Certains, à la parution en 1973, accusèrent Alicia Yànez Cossìo d'avoir plagié Garcìa Marquez. On ne se risquera pas à trancher ici cette question, mais il faut rappeler que le Nobel colombien n'est ni le premier ni le seul auteur de ce courant littéraire, même s'il en est devenu un maître. Faudrait-il aussi accuser le péruvien Manuel Scorza de plagiat ?

Ce qui est certain c'est que le roman d'Alicia Yànez Cossìo représente l'oeuvre la plus aboutie du réalisme magique équatorien des années 70. Le manuscrit proposé à un concours en 1971 sous un pseudonyme féminin sera refusé, puis en 1973 à un autre concours il gagnera le prix sous un pseudonyme masculin ! Cette reconnaissance lancera la carrière littéraire d'Alicia Yànez Cossìo. Plusieurs romans et recueils de nouvelles et de poésie suivront, parallèlement à une carrière d'enseignante. (Son premier roman était déjà étudié à l'université à Quito en 1975-76)

 

« Bruna, soroche y los tìos » a été régulièrement réédité en Equateur et dans les pays voisins, adapté en braille et traduit au moins en anglais et en italien.

 

À l'approche de ses 90 ans, Alicia Yànez Cossìo est depuis longtemps reconnue dans son pays mais, la littérature équatorienne étant généralement ignorée en France, et le réalisme magique un peu passé de mode, il n'est pas certain que ce ratage des éditeurs français sera réparé...

 

(N.B. : Le nom d'Alicia Yànez Cossìo figure dans l'index des auteurs sur le site des éditions Indigo-Côté Femmes, mais aucun titre n'y est associé.)

 

Quelques extraits :

 

(p. 28) « Marìa Illacatu habìa sucumbido mucho antes de que le hicieran el retrato. No resistiò al tràgico proceso de trasplante y de adaptaciòn al mundo de los blancos. Sus costumbres heredadas de siglos y afincadas a la tierra con un señorìo de raza, debìan borrarse de la noche a la manana como si fueran estigmas. »

  

(p. 51) « Esto heredò Bruna : un mundo de valores invertidos en el cual la sangre no tenìa otra funciòn que la de ser de colores, y las làgrimas, agua salada. La dignidad y el sentido comùn tenìan papeles estereotipados. Era difìcil llegar a la plenitud del « ser humano », de « sapiens sapiens » sacudiendo uno a uno los prejuicios que estaban adheridos como la carne, a los huesos. »

  

(p. 66) « Al darse cuenta de que el mundo estaba poblado por otra clase de seres, hizo el gran descubrimiento de que la educaciòn que le habìan dado era absurda : la mujer podìa vivir al margen del « gheto » y tenìa unas insospechadas posibilidades que debìan ser explotadas sin que sucediera ninguna catàstrofe. »

 

(p. 173) « Tanta pendejada para vivir pocos años »

 

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