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LES LETTRES DE MON TRAPICHE
8 septembre 2016

El gol de la muerte, d’Efraín Rúa (par Jorge Cuba Luque)

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El gol de la muerte, d’Efraín Rúa

par Jorge Cuba Luque

 

El gol de la muerte (Ed. Ruta Pedagógica, Lima 2014, 132 p.) d’Efraín Rúa s’inscrit dans le cadre de la “non-fiction”, ce genre à mi-chemin entre la littérature et le compte rendu d’un fait divers, le témoignage, les mémoires ou le reportage. Littérature parce que l’auteur se sert d’un langage qui cherche à aller au delà de la pure transcription d’un événement en donnant aux mots et aux tournures choisis une valeur pleine de significations pour exposer une vérité.

Efraín Rúa nous raconte ici une vérité longuement subtilisée : celle de la tragédie du stade national de Lima, le 24 mai 1964. Ce jour-là, pendant la rencontre de football entre les sélections du Pérou et l’Argentine pour la qualification aux Jeux olympiques de Tokyo, l’arbitre annule un but marqué par les Péruviens peu avant la fin du match, but qui aurait permis à l’équipe locale, jusqu’alors menée 0-1, l’égalisation. Le mécontentement des quarante mille supporteurs éclate et l’un d’entre eux, un voyou connu de la police comme le Negro Bomba saute sur le terrain pour agresser l’arbitre. Les forces de l’ordre l’interceptent et, immédiatement, le tabassent. Les aficionados péruviens expriment leur mécontentement encore plus fort, la police craint un débordement et un officier ordonne de lancer des bombes lacrymogènes sur les tribunes. Se produit alors une panique générale, les gens cherchent à gagner les sorties mais les portes étaient bloquées. Résultat : plus de trois cents morts.

On trouve dans El gol de la muerte le récit minutieux de ces faits-là, d’ailleurs plus ou moins connus car c’est ainsi que la presse de l’époque les a présentés et, la version officielle les a validés. Mais Efraín Rúa les enrichit en suivant les traces de quelques protagonistes de la tragédie, le Negro Bomba, l’officier de police qui de manière irresponsable donne l’ordre de lancer les bombes lacrymogènes, le ministre de l’intérieur et ses efforts pour justifier l’injustifiable, des journalistes, des footballeurs, les mensonges des politiciens pour attribuer aux groupes d’extrême gauche les actes de vandalisme survenus quand les Liméniens ont appris la tragédie en fin d’après-midi mais qui n’étaient que la colère populaire. On détecte chez Efraín Rúa une très bonne assimilation du Truman Capote de In Cold Blood, et, en même temps, on voit qu’il a voulu non seulement exhumer une tragédie de la mémoire collective mais aussi rappeler les perversions du pouvoir et son manque de courage pour assumer ses responsabilités.

Tout au long d’El gol de la muerte, on voit clairement une présence, celle de gens humbles du Pérou, à commencer par le Negro Bomba lui-même, victime d’une société inégale qui le pousse à l’exclusion ; on voit des supporteurs qui vont au stade parce que c’est la seule distraction accessible ; on voit des policiers impuissants face à la tragédie ; on voit les victimes, presque toutes issue du secteur plus fragile de la société. D’une certaine manière Efraín Rúa nous a donné ici un livre politique, politique car humain, contestataire et passionnant.

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LES LETTRES DE MON TRAPICHE
  • Comptes-rendus de lectures (en français) sur des auteurs et livres d'Amérique du Sud non traduits en français. Blog créé et géré par un auteur péruvien (J. Cuba-Luque), un français (A. Barral) et une traductrice (L. Holvoet). Trapiche : moulin à canne
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