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LES LETTRES DE MON TRAPICHE
3 juillet 2017

"Si te vieras con mis ojos", de Carlos Franz. (par Yves Rouvière)

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Editorial Alfaguara, 2015, 380 pages.

 

               Carlos Franz, romancier chilien et espagnol né à Genève en 1959. Après des études de droit il se consacre à l'écriture et a déja publié quatre romans, dont "El lugar donde estuvo el Paraíso", traduit en français : "Un paradis sur l'Amazone" (Seuil, 1999), "Santiago Cero", "El desierto" et  "Almuerzo de vampiros". Il a été élève des ateliers d'écriture de José Donoso entre 1981 et 1983. Il est traduit dans plusieurs langues et a reçu divers prix littéraires.

 
Dans "Si te vieras con mis ojos", il nous plonge dans le Chili du 19° siècle en s'inspirant de personnages réels pour nous conter une grande passion. Une histoire d'amour hors norme  entre ''el Moro'', le peintre bohème Joachim Moritz Rugendas, issu d'une lignée de peintres autrichiens et une femme de l'oligarchie dont il a changé le nom, car la correspondance entre eux exista réellement.
 
Celle-ci, qu'il nomme Carmen Lispeguer de Gutiérrez, fille unique d'un grand propriétaire, est mariée à un héros de l'Indépendance, beaucoup plus vieux et handicapé des suites de blessure de guerre.
Johann s'amourache d'elle dès son arrivée à Valparaiso, en 1834, comme il avait coutume de le faire avec ses modèles, ''femmes typiques'' des Amériques, avant que leur portrait ne révèle des imperfections et que surtout la "desenganadora'' ne le poursuive (la mort qui le pousse sans cesse à abandonner ses amours). Mais la passion va vite lui faire oublier ses ''femmes typiques''pour un caractère bien trempé de femme intellectuelle et sensuelle à la fois. Les lettres de Carmen s'entremêlent au récit sur une période de cinquante ans, offrant un contre point au récit principal.
L'histoire se corse avec l'arrivée de Charles Darwin, jeune savant rouquin obsédé par ses descriptions de la faune américaine, qui se révèlera puritain, maladif, sujet à des crises de panique, bref tout le contraire de  Joachim : "Tu te trouvais devant un ''naturaliste''. Un homme de science, Moro, un de ces êtres que tu étais arrivé à détester. De ces ingénus ou ces fats qui allaient de par le monde en croyant dévoiler ses mystères." Or ils vont devoir partager cet amour, puis une drogue traditionnelle, perdus au coeur des Andes. En effet la jalousie de Carmen va déclencher une série de catastrophes, fuite avec le jeune Darwin, avalanche au pied de l'Aconcagua, refuge dans un tombeau inca, vengeance du mari et la conclusion inattendue de l'histoire.
C'est Carmen qui aura le mot de la fin : "Tu répétais toujours : "si tu te voyais avec mes yeux, tu saurais combien je t'aime''.
Maintenant qu'ils sont tous morts, que le monde d'hier s'est dépeuplé, je persiste à essayer de voir ce que tu as vu."
 
On pourrait situer ce roman dans la traditionnelle opposition nature/culture, ou encore passion/rationalité, deux thèmes classiques de la culture latino-américaine, certes, mais Franz renouvelle la thématique dans un récit puissant, haletant, remarquablement bien construit, qui nous donne une idée différente de ce Chili que l'on réduit souvent à sa côte ''méditerranéenne'' quand ce n'est pas au militarisme de la "Prusse de l'Amérique latine"! 

En opposant l'esprit scientifique et l'esprit artistique, Franz nous rappelle l'origine de la célèbre citation attribuée à Lénine :
''Mon cher ami, toute théorie est grise, alors que l'arbre de la vie est vert et doré.''
(c'est Goethe qui la place dans la bouche de Méphistophélès). 
 

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