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LES LETTRES DE MON TRAPICHE
2 janvier 2018

« La entrada al paraíso », de Martin Lasalt. (par Antonio Borrell)

 

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Ediciones de la Banda Oriental, Montevideo, 2015, 140 pages.

ISBN : 978-9974-1-0927-8

 

Martin Lasalt est né à Montevideo en 1977, et sa première vocation fut celle de peintre. A l’adolescence il se tourne vers l’écriture, puis fera des études de graphisme, de communication, de beaux-arts (option cinéma) tout en participant à des ateliers d’écriture et des projets collectifs sur les deux rives du Rio de La Plata. Les lecteurs du Trapiche se souviennent peut-être qu’il y a presque un an nous avions particulièrement apprécié « Pichis » (2016), son second livre publié. Il semble confirmé que « Pichis » sera prochainement publié en français et le Trapiche se flatte d’y être un peu pour quelque chose. L’année 2017 a été plutôt bonne pour Martin Lasalt avec la publication de son troisième livre « La subversiòn de la lluvia » et un nouveau roman encore inédit qui reçoit un prix du ministère uruguayen de la culture.  

« La entrada al paraiso », est son premier roman, paru en 2015 après avoir reçu le prix « Narradores de la Banda Oriental » attribué sur manuscrit. 

 

Déjà, la lecture de « Pichis » nous avait montré combien Martin Lasalt s’intéresse à des sujets délaissés par un bon nombre d’auteurs de son pays, notamment le sort des plus défavorisés et marginalisés, qui existent encore en Uruguay, bien que ce pays soit souvent considéré comme le moins inégalitaire du continent. Dans « Pichis » il usait des registres de la satire, de l’humour et du fantastique, et dans « La entrada al paraiso » il est plus réaliste et analyse finement les relations complexes entre les personnages. L’auteur ne se complait pas dans le misérabilisme, la narration est sobre et juste. Le texte est écrit tout d’une traite, sans découpage en chapitres, avec parfois des « flash-back », sans pour autant égarer le lecteur.

Il y a d’abord un jeune couple, Matilde et Sergio, qui se disloque depuis la disparition inexpliquée de leur bébé. Autour d’eux tournent notamment Sonia, mère de Matilde, et Raquel, une retraitée habitant le quartier. On est en hiver, dans les lointaines banlieues semi-rurales de Montevideo, dont les habitants parcourent chaque jour de grandes distances dans de vieux bus chinois bondés, où par moments s’invitent des vendeurs à la sauvette de bonbons ou de mouchoirs en papiers, et de piteux artistes qui grattent tant bien que mal des chansons brésiliennes sur leur guitare, à moins que la radio déverse à plein tubes une « cumbia villera » de bas étage. Sergio est vaguement maçon sur des chantiers, Matilde fait de la couture et parfois des ménages chez des familles aisées, tous deux sont à la dérive, sans pouvoir faire leur deuil, ni trouver aucun espoir…

 Un des traits les plus intéressants de ce roman, est qu’il aborde un sujet important et trop souvent ignoré dans la littérature: le fléau social que sont les diverses sectes, églises évangéliques et témoins de Jéhovah, qui depuis quelques décennies se sont abattues sur l’Amérique latine, en particulier sur les quartiers populaires. Leur emprise est désormais une menace pour la liberté et la démocratie (Brésil, Guatemala…), et il est à craindre que certains de ces groupes deviennent aussi dangereux dans le nouveau monde que les islamistes le sont dans l'ancien.

 Le roman montre comment, sous couvert de compassion chrétienne, ce jeune couple en détresse devient une proie pour le groupe évangélique de son quartier, et surtout Matilde qui a déjà vécu, à travers sa mère, toute son enfance sous la coupe des Témoins de Jéhovah, avant de prendre ses distances à l’adolescence. Sergio est athée (ce qui ne l’empêchera pas de consulter une voyante à l’occasion) et malgré sa bonne volonté envers sa jeune femme il ne supportera pas de fréquenter les évangéliques, ce qui contribue encore plus à la rupture du couple. Lorsque Matilde rejoint l’église évangélique, Sonia qui est restée chez les Témoins supporte mal ce changement, mais le vieux conflit latent entre mère et fille va arriver à son paroxysme. Sonia ayant probablement été victime d’abus de son grand-père pendant l’enfance, on comprend que cette blessure l’a aussi rendue fragile et a fait d’elle une proie facile pour la secte.

Certaines pages consacrées à ces évangéliques toujours tirés à quatre épingles, arrosés d’eau de Cologne, débordants de bonté et de piété, ou aux tristes et gris Témoins de Jéhovah, et à tous ces béats confits dans leur bêtise, leurs certitudes et leurs frustrations sexuelles ne manquent ni d’humour, ni de justesse ! 

Enfin, Raquel, cette veuve qui voudrait passer pour plus riche qu’elle n’est, et s’amuse à se faire présenter des catalogues de croisières dans les agences de voyages, sans jamais partir, cette solitaire qui vit avec deux gros chiens est une cliente des travaux de couture de Matilde à qui elle rend de fréquentes visites, s’immisçant elle aussi dans le drame familial jusqu’à la révélation finale, annoncée dès les premières lignes du livre…

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  • Comptes-rendus de lectures (en français) sur des auteurs et livres d'Amérique du Sud non traduits en français. Blog créé et géré par un auteur péruvien (J. Cuba-Luque), un français (A. Barral) et une traductrice (L. Holvoet). Trapiche : moulin à canne
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